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Une allée de vanilliers sous une serre, à la station expérimentale Terre d'Essais de Pleumeur-Gautier (Côtes-d'Armor), le 25 mars 2025.

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Vanille, yuzu et patate douce: l'avenir agricole exotique de la Bretagne

En Bretagne, les gousses de vanille mûrissent désormais sous les serres. BFM Business s'est rendu dans les Côtes-d'Armor pour découvrir les coulisses de ce pari agricole.

À l’intérieur de la boutique de producteurs Coco & Co, dans les Côtes-d'Armor, les étagères regorgent de biscuits, conserves de poisson et autres caramels. De l'autre côté du magasin, les maraîchers locaux écoulent leurs légumes sur les étals. Un détail dénote dans le paysage: à côté de la caisse, des gousses de "vanille de Bretagne" s’entassent sur un petit présentoir en carton. Loin des chaudes latitudes de Tahiti, elles suscitent la curiosité. "Plusieurs personnes en ont encore acheté ce matin, elles se sont parfois déplacées uniquement pour cela", sourit Évelyne, responsable de la boutique installée à quelques pas du port de Paimpol.

L’histoire semble improbable: de même que la Polynésie, Mayotte ou La Réunion, la Bretagne est aujourd’hui une région productrice de vanille. Le projet a vu le jour en 2019 à Pleumeur-Gautier, au sein de la station expérimentale Terre d’Essais, une structure gérée par l'association Cerafel qui regroupe trois coopératives maraîchères connues sous la marque Prince de Bretagne. À l’époque, la région est secouée par une crise de surproduction des tomates. La forte hausse du prix de la vanille attire l’attention sur cette épice tropicale dont la demande ne cesse de progresser, très recherchée par les pâtissiers, l'industrie agroalimentaire ou les parfumeurs.

"Notre responsable innovation a présenté la vanille en nous disant ‘les gars, ça pousse sous serre et ça tiendrait la route en Bretagne’, qui est intéressé?", retrace le maraîcher Pierre Guyomar, l’un des pionniers de la vanille bretonne.

"Et on a levé la main" avec deux autres producteurs, se remémore-t-il. Des plants de la variété Vanilla planifolia, la variété plus cultivée dans le monde, sont rapportés de l’île de la Réunion, où les quelques intéressés s’inspirent de l’expérience des producteurs insulaires. Cinq ans plus tard, les premières gousses étaient récoltées dans les Côtes-d’Armor –une première en France métropolitaine. Officiellement présenté lors du Salon de l'agriculture, le premier millésime est commercialisé depuis le début de l'année. Quelques centaines de kilogrammes de vanille noire, passés par plusieurs mois de séchage et d’affinage, ont été mis sur le marché.

"Un prix concurrentiel"

En ce jour de mars, Pierre Guyomar joue le rôle d’ambassadeur sous une serre de Terre d’Essais. Plusieurs allées étroites sont encadrées de hautes rangées de lianes de deux mètres de haut. Quelques fleurs jaunes et des grappes de gousses vertes se disséminent dans le feuillage des vanilliers, des orchidées lianescentes épiphytes qui ont besoin d’un support pour se développer. Avec un cure-dent, le maraîcher présente la pollinisation manuelle des fleurs. "Sans action de l'homme, il n'y aura jamais de gousse", appuie-t-il. Une abeille spécifique, que l'on ne trouve qu'en Amérique tropicale, assure le travail dans son milieu d'origine.

Un fleur ouverte sur une liane de vanillier, à la station expérimentale Terre d'Essais de Pleumeur-Gautier (Côtes-d'Armor), le 25 mars 2025.
Un fleur ouverte sur une liane de vanillier, à la station expérimentale Terre d'Essais de Pleumeur-Gautier (Côtes-d'Armor), le 25 mars 2025. © BFM Business

Fait surprenant, le vanillier a pris ses aises en Bretagne, à l'abri des serres qui parsèment la campagne bretonne. Un complément de chauffage est apporté lorsque la température descend en-dessous de 16°C, mais "ce n’est pas une serre tropicale", insiste Pierre Guyomar, expliquant que les plants réunionnais ont été cultivés in vitro pour les acclimater à l’atmosphère locale. Sur sa propre exploitation, à une quinzaine de kilomètres de là, les lianes de vanilliers se sont intercalées entre les plants de tomates. En comptant les deux autres producteurs, ce sont aujourd'hui 10.000 mètres carrés qui sont dédiés à la vanille en Bretagne.

Des gousses de "vanille de Bretagne", à la station expérimentale Terre d'Essais de Pleumeur-Gautier (Côtes-d'Armor), le 25 mars 2025.
Des gousses de "vanille de Bretagne", à la station expérimentale Terre d'Essais de Pleumeur-Gautier (Côtes-d'Armor), le 25 mars 2025. © BFM Business

Pour l’heure, les Bretons restent prudents. "C'est le consommateur qui nous fera poursuivre ou pas le projet", approuve Pierre Guyomar, qui s’est fixé l’objectif d'y consacrer 10 à 20% de son chiffre d’affaires à terme. La gousse de 18-20 centimètres est vendue aux particuliers pour une dizaine d’euros, se positionnant ainsi dans la catégorie haut de gamme. Plutôt que de rivaliser sur les prix avec Madagascar, qui domine les trois-quarts du marché mondial, Prince de Bretagne vante une "forte concentration" en vanilline, obtenue en laissant les gousses mûrir pendant neuf mois sur les lianes pour atteindre une maturation optimale.

"Si vous rapportez au taux de vanilline, vous vous retrouvez à un prix concurrentiel des vanilles importées", affirme Pierre Guyomar.

Pour assurer sa rentabilité, la vanille armoricaine devra surtout faire ses preuves auprès des professionnels sur un marché très concurrentiel. "L'idée n'est pas que toutes les serres bretonnes soient implantées en vanille", nuance-t-il, évoquant un marché "de niche". À Paimpol, un artisan propose d'ores et déjà une glace "vanille à la bretonne". Des restaurants, des épiceries fines et des chocolatiers, ainsi qu’un grand nom des cosmétiques, ont aussi manifesté leur intérêt. En attendant, les commerciaux de Prince de Bretagne sillonnent l'Hexagone pour promouvoir un produit sur lequel personne ne les attend.

Complément de revenu

La vanille n'est pas la première audace des maraîchers bretons. À l’image de ce qui a été fait dans les années 1990 avec la fraise gariguette, la marque Prince de Bretagne multiplie les nouvelles productions depuis une vingtaine d’années. "On nous demande toujours plus d'offre pour pouvoir répondre aux attentes des clients", précise Florian Josselin, responsable innovation pour la coopérative des Maraîchers d’Armor. Sur le site de Terre d’Essais, quelques agrumiers poussent en pleine terre sous une serre adjacente à celle des vanilliers. Aux premiers jours du printemps, il ne reste que quelques fruits oubliés sur les branches.

Un agrume sur la branche d'un arbre, à la station expérimentale Terre d'Essais de Pleumeur-Gautier (Côtes-d'Armor), le 25 mars 2025.
Un agrume sur la branche d'un arbre, à la station expérimentale Terre d'Essais de Pleumeur-Gautier (Côtes-d'Armor), le 25 mars 2025. © BFM Business

Combawa, citron caviar, yuzu, kumquat et limequat prospéraient encore sur les branches quelques semaines plus tôt. Avec ses températures modérées, le climat du nord de la Bretagne convient bien aux agrumes. Par ailleurs, "nous bénéficions involontairement du changement climatique, c'est une évidence", abonde Florian Josselin. Ces petits fruits, qui se vendent cher lors des fêtes de fin d'année, ont été testés ici, avant que cinq producteurs s'en emparent sur leurs propres terres. Une tonne d'agrumes est aujourd'hui commercialisée sous la marque Prince de Bretagne, et les volumes augmentent d'année en année.

"Nous n'irons pas sur le citron ou l'orange. Le but, c'est vraiment d'avoir du produit à valeur ajoutée", modère Florian Josselin.

Derrière cette diversification, l'objectif n'est pas de remplacer les productions classiques, mais de créer un complément de revenu pour les maraîchers. Un producteur de tomate aura "du personnel un peu plus disponible" en hiver, en pleine saison des agrumes, donne-t-il en exemple.

En attendant les kiwis

Dans le Finistère, une poignée d'agriculteurs s'attèle à développer la culture des myrtilliers en pot, à l'initiative d'une autre station expérimentale. Quelques tonnes de myrtilles, dont la France n'assure qu'un dixième de sa consommation, y ont été récoltées au cours des derniers étés. La patate douce, elle, trace ses premiers sillons au milieu des pommes de terre.

Le kiwi et le raisin pourraient être les prochains sur la ligne de départ. "Nous avons des choses en tête", confie le président de Terre d'Essais, Hervé Conan, lui-même producteur dans la région paimpolaise. "C'est important que les essais soient faits sur place, pour éviter aux producteurs d'avoir à le faire" eux-mêmes, explique-t-il.

Loin de la lumière médiatique, une bonne partie des expérimentations bretonnes se concentre toutefois sur des cultures bien moins exotiques. À l'extérieur des serres, en plein champ, des rangées de choux-fleurs s'alignent les unes à côté des autres. Tous les ans, près de 80 variétés y sont testées.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV