Budget de la zone euro: Paris lâche du lest pour avancer

Bruno Le Maire et son homologue allemand Olaf Scholz à la sortie de la réunion de l'Eurogroupe ce lundi. - John Thys - AFP
"Il y a un an nous ne pouvions même pas utiliser l'expression 'budget de la zone', maintenant il y a une proposition franco-allemande opérationnelle", s'est félicité le ministre français des Finances Bruno Le Maire, en compagnie de son homologue allemand Olaf Scholz à la sortie d'une réunion de l'Eurogroupe ce lundi. "C'est pour nous une avancée politique majeure", a-t-il insisté.
Lors de l'accord de Meseberg scellé fin juin entre Emmanuel Macron et Angela Merkel, actant le principe d'un budget de la zone euro, Paris et Berlin s'étaient engagés à formuler des propositions concrètes d'ici décembre. C'est chose faite. Vendredi, Bruno Le Maire et Olaf Scholz ont rédigé un document commun précisant les contours de ce dispositif et l'ont présenté devant les 17 autres ministres des Finances de la zone euro ce lundi.
Ces derniers "ont bien accueilli cette contribution", a déclaré le président de l'Eurogroupe, Mario Centeno. "C'est un apport important à nos discussions […] des travaux plus approfondis seront certainement nécessaires", a-t-il ajouté.
Une ligne dans le budget de l'Union européenne
Le projet des deux ministres des Finances, dévoilé par Politico, prévoit que ce dispositif soit "seulement un élément d'un ensemble d'instruments à l'intérieur du système de l'Union européenne". Autrement dit, le "budget de la zone euro serait une partie du budget de l'UE", écrivent-ils.
Dans ces conditions, le montant alloué serait discuté dans le cadre financier pluriannuel (2021-2027) de l'Union européenne, le premier sans le Royaume-Uni. Pour mémoire, le budget de l'UE s'élève à 160 milliards d'euros en 2018. En conséquence, si le budget de la zone euro n'est plus qu'une ligne dans celui de l'UE, il ne devrait pas dépasser quelques dizaines de milliards d'euros.
On est loin de la proposition initiale d'Emmanuel Macron qui, dans le discours de la Sorbonne, évoquait un budget "plus fort au cœur de la zone euro" avec "des ressources qui devront refléter cette ambition". Paris tenait à ce que le montant alloué représente plusieurs points du PIB de l'union monétaire, dont 1% équivaudrait déjà à 110 milliards d'euros. "Nous avons besoin d'un point de départ", a répondu Bruno Le Maire en conférence de presse.
Des risques trop élevés pour être partagés?
À quoi ce budget va-t-il servir? Nombreuses sont les voix, dont celle du FMI, qui ne cessent d'appeler les pays de la zone euro à se doter d'un dispositif ambitieux pour faire face à la prochaine crise. En l'état, seul le volet "convergence" des économies semble avoir séduit les ministres des Finances de la zone euro. Le projet franco-allemand prévoit des investissements dans l'innovation, la recherche et le capital humain. Quant au volet "stabilisation", qui consiste à épauler un pays lors d'une crise économique, "nous y travaillons encore", a souligné Bruno Le Maire.
Cet aspect est le principal point de blocage au sein de l'Eurogroupe. Certains pays ne sont pas prêts, à ce stade, à partager les risques avec leurs partenaires européens. Ils craignent une "union de transferts" où (pour caricaturer) les rigoureux pays du Nord financeraient les déficits des laxistes pays du Sud.
Ministre social-démocrate, Olaf Scholz a par exemple travaillé sur une proposition de "fonds de réassurance chômage", qui vise à aider les États de la zone euro à financer leur système d'assurance chômage en temps de crise. Mais l'idée peine à convaincre au sein du gouvernement allemand.
"Le mantra de la CDU (le parti conservateur de la chancelière Angela Merkel, ndlr), c'est d'abord réduire les risques avant de les partager", décrypte Charles-Henri Colombier, directeur de la Conjoncture chez Rexecode. "Le préalable n'est pas réalisé", poursuit-il, autrement dit la situation financière de certains pays n'est pas assez satisfaisante. "Si Berlin insiste sur la prudence, c'est aussi au regard de la situation italienne", pointe Isabelle Bourgeois, spécialiste de l'Allemagne et animatrice de Tandem-Europe. Le choix de Rome de creuser son déficit et de se lancer dans un bras de fer avec la Commission européenne conforte les frileux dans leur position.
Les plus réticents à ce projet sont les Néerlandais. Avant même la réunion de l'Eurogroupe ce lundi, le ministre des Finances Wopke Hoekstra avait d'ores et déjà réaffirmé, comme en juin, qu'il n'était "pas convaincu" de la nécessité d'un budget pour la zone euro. Bruno Le Maire le recevra jeudi à Paris pour tenter de lui faire changer d'avis.