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Des plats instantanés de "topokki" présentés sur le stand de la marque Maison de Corée, lors de l'édition 2024 du salon Sial Paris, le 21 octobre 2024 à Villepinte (Seine-Saint-Denis)

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Kimchi, soju et topokki: la Corée du Sud se lance à la conquête des supermarchés

La Corée du Sud est l'une des stars incontournables du Sial Paris, grand salon de l'industrie alimentaire mondiale. Des nouilles aux boissons gazeuses en passant par les sauces et les raviolis surgelés, de nombreuses entreprises sont venues présenter leurs produits, espérant séduire les Européens.

La Corée se fraie un chemin jusqu'à nos placards et nos réfrigérateurs. Vitrine de l'industrie agroalimentaire mondiale, le Salon international de l'alimentation (Sial) de Paris va bientôt fermer ses portes après avoir accueilli, une nouvelle fois, plusieurs milliers d'exposants au parc des expositions de Villepinte, en Seine-Saint-Denis. Tous les deux ans, acheteurs et fabricants arpentent les lieux à la recherche des prochaines tendances de consommation, celles qui garniront bientôt les rayons des supermarchés un peu partout sur la planète. Et s'il y a bien des produits incontournables pour les prochaines années, ce sont ceux issus de la cuisine coréenne.

Ce n'est pas vraiment une surprise: la Corée du Sud rayonne dans le monde. Que l'on parle de la musique (avec la fameuse "K-pop"), des séries télévisées, du cinéma, des cosmétiques – et de littérature avec le récent prix Nobel –, impossible de passer à côté de la vague coréenne, qui gagne désormais les assiettes européennes. Les restaurants coréens se sont multipliés en Europe ces dernières années, tâche maintenant à la cuisine locale d'en conquérir les supermarchés. Dans les allées du Sial, nouilles, sauces, raviolis, biscuits, boissons s'accumulent sur les stands d'une bonne centaine d'entreprises – et suscitent un intérêt certain des distributeurs.

"Il y a quatre ou cinq ans, c'étaient encore des produits de niche", mais "avec la montée du soft power coréen, nous avons de plus en plus de demandes", confirme Sung Sik Kim, directeur général de la société Super F, sur le stand de Maison de Corée, sa marque dédiée au marché français.

Lorsque l'on évoque le succès des produits coréens, il cite spontanément le "topokki", un plat classique de street food composé de bâtonnets de farine de riz enrobés dans une sauce épicée, "qui est devenu le numéro 1 de nos ventes" sous la marque Korean Street, l'une des marques déployées par l'entreprise sur le sol européen. Friands de street food, les restaurants ont ouvert la marche au topokki, laissant le temps aux consommateurs d'en avoir un premier aperçu gustatif, puis de vouloir en reprendre à domicile. Son passage dans un épisode de la première saison de la série Squid Game, l'un des cartons de Netflix, n'est pas non plus étranger à sa soudaine popularité.

"Ce n'est parfois pas facile d'entrer"

L'entreprise française, associée à une société sœur en Corée où elle fabrique ses produits, joue également le rôle d'intermédiaire pour de grandes marques coréennes. Sur les étagères, on retrouve les nouilles instantanées Nongshim (apparues dans le film Parasite), les snacks du géant Orion et surtout les bouteilles de soju Jinro – avec 70% de parts de marché dans son pays natal, Jinro est un mastodonte des spiritueux. "Nous commençons tout juste la distribution" sous sa version aromatisée, mais la marque sera plus largement présente "d'ici un an ou deux" dans les supermarchés français, veut croire Sung Sik Kim, après avoir déjà convaincu Carrefour.

Des bouteilles de "soju" aromatisé présentées lors de l'édition 2024 du salon Sial Paris, le 21 octobre 2024 à Villepinte (Seine-Saint-Denis).
Des bouteilles de "soju" aromatisé présentées lors de l'édition 2024 du salon Sial Paris, le 21 octobre 2024 à Villepinte (Seine-Saint-Denis). © BFM Business

Dans le hall voisin, les bouteilles Milkis sont recouvertes par l'image d'Hello Kitty, fruit d'un partenariat commercial annuel entre le personnage japonais et la boisson gazeuse. Il s'agit d'une sorte de soda aromatisé auquel est ajoutée de la poudre de lait. "Nous avons été contacté par beaucoup d'entreprises étrangères qui veulent vendre nos produits", corrobore Young Duk Kang, responsable de l'équipe Europe et Russie de la société Lotte Chilsung Beverage, elle-même partie du conglomérat Lotte. Voulant profiter du "boom" coréen pour doper ses exportations, le fabricant concentre ses efforts sur les magasins européens en s'appuyant, lui aussi, sur les jeunes générations.

Les films et les séries "nous aident beaucoup" parce qu'il y a "des scènes de repas" où l'on voit "les plats, la manière de manger, les ingrédients", comme le kimchi, explique Joohee Choi, responsable marketing pour le bureau parisien de l'agence gouvernementale Korea Agro-Fisheries and Food Trade Corporation (aT Center Paris).

Cette dernière a ramené 75 entreprises pour garnir un grand pavillon coréen, les deux tiers des entreprises nationales présentes au salon francilien. Derrière le succès de la "k-food", il ne faut pas occulter le rôle de l'État coréen, qui a efficacement soutenu la diffusion de la culture coréenne, cuisine comprise, par une politique volontariste et concertée (voir encadré). Outre ses missions de marketing, l'agence parisienne est un point d'attache pour les PME coréennes exportatrices. Les Français "aiment beaucoup [nos] produits", mais "ce n'est parfois pas facile d'entrer" sur le marché européen, en raison des "nombreuses régulations à suivre", souligne Joohee Choi.

Pas de lait dans les barres glacées

Les barres glacées Melona, elles, ont décidé de contourner l'obstacle réglementaire. Pour tenter l'aventure de notre côté de l'Eurasie, le géant des produits laitiers Binggrae a décidé de modifier la recette de sa marque phare… en supprimant le lait, persuadé de pouvoir séduire la grande distribution, comme l'assure un représentant de l'entreprise, entre deux distributions de glaces aux visiteurs. Malgré l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et la Corée du Sud, il est encore difficile d'exporter des produits alimentaires à base de lait. En Corée du Sud, ces barres glacées contiennent du lait écrémé: pour l'Europe, il a été remplacé par l'avoine ou le lait de coco.

Mais l'argument le plus efficace, cela reste leur origine coréenne. "Les importateurs nous demandent de laisser les caractères coréens sur les emballages, de ne pas seulement écrire en anglais", affirme-t-on sur le stand Melona. Sans nul doute, la vague coréenne s'apprête à déferler dans nos supermarchés.

Rien n'est vraiment le fruit du hasard dans le succès culturel sud-coréen, mais plutôt le résultat d'une politique efficace menée par l'État coréen depuis la fin des années 1990. Les efforts des entreprises privées sont largement soutenus par les outils institutionnels, législatifs et financiers déployés par Séoul, qui a compris l'intérêt d'un soft power culturel pour stimuler la croissance des entreprises nationales et donner au pays une place de premier plan au niveau mondial.

L'appui étatique est "capital" pour la diffusion de la cuisine coréenne, explique Benjamin Joinau, maître de conférences en anthropologie culturelle à l'université Hongik de Séoul. Pour la faire sortir de ses frontières, le gouvernement sud-coréen a soutenu la standardisation des recettes, en termes de quantités par exemple, de même que la traduction et la distribution des livres de recettes coréennes. "Ils ont choisi les plats les moins typisés, les plus exportables", précise-t-il.

Séoul tente de la populariser depuis la fin des années 2000, mais "ça n'a pas payé tout de suite", nuance-t-il. La popularité de la "culture pop" coréenne a finalement réussi à lancer la machine. Sur le marché alimentaire, "la Corée arrive au bon moment, où l'attraction du Japon s'essouffle et la Chine se referme sur elle-même", contextualise Benjamin Joinau, y ajoutant également un "effet de découverte" dont ne profitent pas d'autres pays asiatiques, comme le Vietnam.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV