Twitter: comment des comptes anonymes viennent servir le discours de LREM

Le chercheur indépendant Baptiste Robert et Mediapart soulignent la façon dont La République En Marche mettrait à profit Twitter, à l'aide de comptes anonymes, pour convaincre.

Le Web est devenu le terrain de jeu privilégié des partis à l'approche d'élections d'ampleur, y compris pour La République En Marche (LREM). D'après une étude menée par le chercheur Baptiste Robert (Elliot Alderson sur Twitter) et relayée par Mediapart, une "nébuleuse" de comptes Twitter anonymes permettrait de faire valoir les idées du parti au pouvoir, et notamment de sa candidate aux élections européennes, Nathalie Loiseau.

L'analyse porte sur des tweets collectés entre le vendredi 29 mars et le 1er avril au matin. Ce laps de temps coïncide avec l'"acte XX" des Gilets jaunes, le lancement de la campagne LREM pour les élections européennes et un léger remaniement ministériel. Baptiste Robert conclut que "la communauté LREM, très active sur Twitter" repose sur "la suractivité de quelques centaines de comptes. En grande majorité anonymes". Il en déduit une "tentative de manipulation du trafic de la part de cette communauté".

519 tweets par jour

Pour parvenir à ces conclusions, Baptiste Robert a scruté à la loupe certains des comptes Twitter les plus prolixes sur les thèmes du "Brexit, des élections européennes et de l'actualité politique française", précise-t-il auprès de BFM Tech. L'un des comptes considérés comme les plus actifs, @MamaMimi161820, publie et retweete compulsivement des contenus liés à Nathalie Loiseau et à sa liste, Renaissance européenne, en s'autorisant aussi quelques pas de côté. Le profil, créé en février 2017, comptabilise 54.000 tweets pour 262 abonnés. Les tweets partagés sont signés du nom de Mireille ou de Sophie. Ils peuvent inviter à se rendre aux urnes pour les élections européennes.

L'un des autres profils les plus actifs repérés par Baptiste Robert, qui pourrait être confondu avec un bot en raison de son activité, peut publier jusqu'à 115 tweets par heure, pour une moyenne de 519 tweets par jour depuis décembre 2016. Mediapart précise qu'il s'agit pourtant d'une personne réelle. Un autre compte culmine, lui, à près de 700 messages par jour sur la période étudiée. Baptiste Robert évalue le nombre total de comptes de cette "nébuleuse" à 4.626. Au moment du pic d'activité le plus intense, samedi 30 mars en fin d'après-midi, lors du meeting de Nathalie Loiseau, ces 4.626 comptes fournissaient 68 % des retweets – tout en ne représentant que 10% des comptes recensés sur les sujets étudiés. 

Le tout se structure autour du compte "Ensemble avec Macron", l'un des profils les plus actifs de la sphère macroniste. Mediapart déduit de son observation qu'il pourrait être tenu par plusieurs personnes, ses données de connexion montrant qu'il est actif sept jours sur sept, de 7h du matin à minuit. Certaines instructions sont parfois données par le biais de conversations Telegram - une application de messagerie prisée des personnalités politiques et qui met en avant le chiffrement des communications - pour retweeter des informations clés. Ainsi du canal "Ambassadeurs réseaux sociaux", auquel ont souscrit 439 personnes. Mi-février, de nombreux comptes Twitter avaient affiché leur soutien à Emmanuel Macron, en accompagnant leurs messages du hashtag (mot-dièse) #MacronistesAnonymes. Ce dernier s'était alors hissé parmi les sujets les plus commentés sur Twitter. 

Le paradoxe de l'anonymat

La posture étonne Mediapart alors même que le gouvernement a justement une dent contre les comptes anonymes en ligne. En début d'année, Emmanuel Macron avait évoqué en filigrane une possible "levée de l'anonymat en ligne", estimant qu'il laissait impunis "des torrents de haine déversée en ligne". Mounir Mahjoubi, alors secrétaire d'Etat au numérique, était par la suite venu compléter qu'une telle initiative n'était "pas souhaitable et pas possible", en dehors des dispositifs de démocratie participative en ligne.

Le résultat de ces opérations militantes en ligne ne semble néanmoins pas être celui escompté. Alors même que ces retweets massifs devraient mettre en valeur des idées fortes d'Emmanuel Macron et de La République En Marche, ils peuvent aussi les desservir. "Ce gonflage artificiel a un impact limité dans le sens où le volume de tweets de "leur campagne" reste faible, les tweets "officiels LREM" ne figurant pas parmi les tweets les plus retweetés", complète Baptiste Robert. Parmi les six tweets les plus viraux sur la période du 29 mars au 1er avril, deux seulement portent sur la France... et sont défavorables à La République En Marche. Ainsi de ce tweet, qui critique la nomination de Sibeth Ndiaye au poste de porte-parole du gouvernement. 

"Pour le moment, "le militantisme LREM" sur Twitter a du mal à percer. Toutefois il est quand même bien là. Et il y a une manipulation du trafic sur le réseau, dans le sens où ce dernier n'est plus entièrement organique", souligne Baptiste Robert. 

LREM reste loin d'avoir l'apanage des comptes anonymes. "Il reste néanmoins compliqué à ce stade de faire un comparatif avec les autres formations politiques", note Baptiste Robert. Une autre étude pourrait donc être attendue.

https://twitter.com/Elsa_Trujillo_?s=09 Elsa Trujillo Journaliste BFM Tech