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Loi Narcotrafic: malgré la fronde, Bruno Retailleau réfute tout "affaiblissement du chiffrement" des messageries privées

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Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau s'est expliqué en commission concernant son soutien à un amendement visant à mettre à mal le chiffrement des applications de messagerie instantanée.

La loi Narcotrafic continue de faire des vagues. Alors que son examen démarre ce mercredi 5 mars en commission de l'Assemblée nationale, un amendement voté au Sénat, l'article 8 ter, vient mettre à mal le chiffrement de messageries instantanées comme Whatsapp, Signal ou Telegram.

Cet amendement, qui n'a pas reçu officiellement le soutien du gouvernement, est en tout cas soutenu par le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau. Il est venu s'en expliquer, sans forcément convaincre les spécialistes de la question.

Une porte dérobée qui ne passe pas

L'article 8 ter a pour ambition d'obliger les applications à fournir à la demande des autorités des copies de discussions. Si ces échanges sont protégés par le chiffrement debout en bout, les autorités doivent pouvoir bénéficier d'une "porte dérobée". Un projet qui fait bondir les spécialistes des données personnelles, mais également le milieu des nouvelles technologies, qui y voit un moyen pour des régimes autoritaires de s'engouffrer dans une brèche.

Mais Bruno Retailleau a tenté de préciser que, pour lui, il ne s'agissait pas d'un "affaiblissement du chiffrement" puisqu'il n'était pas question d'une "mesure massive": "Ce n'est pas une solution 'back door' ("porte dérobée"), où on crée une faille, où à tout moment un service peut s'infiltrer."

Problème, c'est pourtant le cas. La porte demandée par l'amendement doit en effet pouvoir s'ouvrir à la demande des autorités, et même si ce n'est pas pour un système d'espionnage massif, cela reste intrinsèquement une porte dérobée, quoi qu'en pense le ministre de l'Intérieur.

Un amendement qui a peu de chance d'aboutir

L'argumentaire de celui qui est aussi candidat à la présidence des Républicains a été raillé par l'avocat spécialisé dans le numérique, Alexandre Archambault: "La technique du correspondant fantôme (un peu comme pour les interceptions téléphoniques, consistant à passer en téléconférence la cible) revient en pratique à affaiblir la protection du chiffrement. Y compris pour les services enquêteurs. Il n'est jamais inutile de consulter des experts."

Bruno Retailleau soutient l'amendement, qui a peu de chances d'aboutir compte tenu des oppositions, car le chiffrement permettrait au crime organisé de proliférer. Les autorités judiciaires doivent en effet faire face à des conversations impossibles à tracer au sein de messageries.

L'amendement permettrait de créer "un point C", dans une conversation qui va de A à B. Autrement dit, le flux de conversation pourrait également arriver auprès des enquêteurs (qui seraient donc le point C), via une porte dérobée conçue par les développeurs d'applications.

Clara Chappaz, secrétaire d'Etat au numérique, a fait part de ses réserves, pointant du doigt un texte "trop large" qui pourrait "fragiliser des principes essentiels". La France insoumise, le Rassemblement national, mais aussi les socialistes, écologistes se sont prononcés contre.

Rappelons en outre que la France ne peut pas légiférer contre les géants du numérique. C'est en effet l'Union européenne qui est compétente en la matière.

Sylvain Trinel