Afghanistan: les talibans coupent peu à peu l'accès à Internet à travers le pays

Des talibans célèbrent le deuxième anniversaire de leur prise de pouvoir, à Jalalabad, à l'est de Kaboul, en Afghanistan, le 15 août 2023. - Shafiullah KAKAR / AFP
En Afghanistan, "la guerre" des talibans contre internet continue. Pour la première fois depuis son retour au pouvoir en 2021, le régime a cette semaine coupé l’accès à l’internet haut débit dans plusieurs provinces du nord, incluant les principaux centres urbains. Cette restriction touche les bureaux gouvernementaux, le secteur privé, les institutions publiques et les foyers, laissant de nombreux Afghans privés de Wi-Fi, tandis que l’internet mobile reste "partiellement fonctionnel".
Officiellement, cette mesure vise à “prévenir l’immoralité”, a déclaré un porte-parole du gouvernement, qui affirme que des alternatives seront mises en place pour les ”besoins essentiels”. Cette décision s’inscrit dans la continuité des mesures de contrôle strictes instaurées par les talibans, notamment le ”long ensemble de règles régissant la moralité” publié fin 2024, imposant notamment aux femmes de se couvrir le visage et aux hommes de porter la barbe.
Une nouvelle vague de répression
“La perturbation de l'Internet marque le début d'une répression généralisée à travers l'Afghanistan. Les talibans pourraient étendre leur répression et échapper à la surveillance internationale. C'est une préoccupation très sérieuse”, a déclaré le spécialiste de la région Bismillah Taban à la chaîne allemande DW.
Selon David Martinon, ancien ambassadeur de France en Afghanistan, “les talibans ont incontestablement une capacité à se faire obéir, mais c'est une stabilité qui n'est pas forcément durable”, a-t-il expliqué sur BFMTV. Le récent blocage d’internet dans le nord du pays s’ajoute ainsi à une longue série de restrictions, comprenant le blocage de Tiktok, du jeu vidéo PUBG ou encore des sites pornographiques.

La vie quotidienne durement impactée
Ces restrictions ont été vivement critiquées par les organisations de défense des droits humains et plusieurs gouvernements étrangers. La fermeture d'internet haut débit complique, de fait, la communication, l’accès aux cours en ligne et la circulation de l’information, alors que l’internet mobile, plus lent et parfois inaccessible dans certaines zones, ne compense pas totalement cette coupure brutale.
En première ligne, les femmes voient leurs droits disparaître un à un. Et ces mesures dépassent largement le cadre des médias et du divertissement, affectant directement la vie quotidienne des femmes et des filles: les écoles secondaires et les universités leur restent fermées depuis quatre ans, elles sont exclues du marché du travail et il leur est interdit de quitter leur domicile sans être accompagnées d’un tuteur masculin.
"Je n'ai absolument aucune idée de la manière dont les étudiants en ligne peuvent continuer à suivre des études universitaires à temps plein sans aucune connexion depuis l'Afghanistan", a déclaré Lucy Ferriss, présidente du conseil d'administration de l'organisation à but non lucratif Afghan Female Student Outreach, au Washington Post.
Face à ce vide, la communauté internationale a tenté de réagir: des universités à l’étranger proposent des cours en ligne, des membres de la diaspora afghane ont lancé des plateformes éducatives, et le gouvernement indien a récemment annoncé 1.000 bourses d’études en ligne pour les étudiants afghans. Mais la coupure totale d’internet menace désormais de priver les filles afghanes de ces rares opportunités.
L’économie et les médias à l’arrêt
Mis à part la question des droits de l’Homme, une autre interrogation se pose: l’économie afghane peut-elle survivre à une interdiction d’internet? “Actuellement, 80 % des activités commerciales se font en ligne. Nous sommes déjà confrontés à des défis majeurs. Ne creusez pas davantage le fossé entre la population et le gouvernement”, a alerté Khan Jan Alokozai, vice-président de la Chambre de commerce afghane, sur X.
Pour de nombreux habitants, la situation semble incompréhensible: “Toute interdiction d'Internet est au-delà de ma compréhension à une époque aussi avancée”, a déclaré à l’AP un résident de la province septentrionale de Balkh, qui a préféré rester anonyme "par crainte de représailles des talibans".

Les médias, eux aussi, déjà fragilisés par les vagues de contrôle et de censure, subissent désormais de plein fouet les restrictions d’internet. Siddiqullah Quraishi, de la Direction de la culture de Nangarhar, une province de l'Est de l'Afghanistan, a expliqué à l’Associated Press que “cette mesure, prise sur ordre du chef des talibans, perturbe non seulement l'accès de millions de citoyens à l'information libre et aux services essentiels, mais constitue également une grave menace pour la liberté d'expression et le travail des médias.”
Déjà plusieurs dizaines de médias ont d’ores et déjà fermé, de nombreux professionnels ont fui le pays, et les femmes y sont également interdites de travail: dès le premier jour du retour au pouvoir des talibans, elles n’avaient plus le droit d’apparaître à la télévision ou à la radio. Désormais, toute diffusion d’information, reportage, article ou documentaire doit obtenir l’autorisation des autorités, restreignant considérablement l’indépendance et la liberté de la presse.