Publicités douteuses et faux conseils: deux ans après son lancement, quel bilan pour le certificat dédié aux influenceurs financiers?

Image d'illustration du métier d'influenceur. - PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV
"Salut à toi, jeune entrepreneur." "La question, elle est vite répondue." En juin 2020, les internautes découvraient l'influenceur Jean-Pierre Fanguin, dont les répliques sont désormais devenues cultes.
Costard sur le dos et voitures de luxe en arrière-plan, le jeune homme de 26 ans multiplie les vidéos sur les réseaux sociaux. Sa promesse? Devenir millionnaire, comme lui, en se faisant de l'argent facile grâce au trading et aux cryptomonnaies. Depuis, Le Parisien a révélé le système frauduleux et pyramidal de formations de ce prétendu entrepreneur à succès.
Comme Jean-Pierre Fanguin, les apprentis milliardaires sont légion sur les réseaux sociaux. A coup de vidéos à Dubaï ou devant des grosses cylindrées, ils refourguent à leurs abonnés des conseils, souvent bidons. Pourtant, tous les profils spécialisés dans la bourse, la cryptomonnaie ou le trading ne promeuvent pas des arnaques. Ce n'est toutefois pas toujours facile, pour les internautes, de s'y retrouver dans cette jungle.
Selon une étude de juin 2025 de la plateforme d’investissement et de conseil financier Nalo, 63% des Français, dont 95% des jeunes de 18-24 ans, consultent au moins un réseau social pour s’informer sur les sujets liés à l’argent. Le hic, 89% des Français redoutent que les influenceurs spécialisés en finance sur les réseaux sociaux soient "des arnaques déguisées".
Réguler la jungle des finfluenceurs
Alors depuis septembre 2023, l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) a mis en place, en collaboration avec l’AMF, le gendarme des marchés financiers, une option "publicité financière" à son certificat de l’influence responsable lancé en 2021. Avec un objectif, mieux encadrer le secteur et en particulier les collaborations commerciales.
"La finfluence (contraction de finance et influence, NDLR) est un secteur extrêmement encadré et réglementé", justement pour protéger les épargnants, rappelle Mohamed Mansouri, directeur délégué de l'ARPP. "Tous les influenceurs n'en ont pas connaissance. Et ils peuvent être approchés par des opérateurs douteux. Alors, il faut leur faire connaître ces règles."
Pour obtenir ce certificat, les créateurs de contenus doivent d'abord suivre le parcours classique du certificat d'influence responsable... et payer entre 69 et 149 euros, selon la taille de leur audience. Il leur faut ensuite passer le module spécifique dédié aux produits et services financiers.
Les modules sont nombreux. Qu'est-ce qu'une action ou une obligation? Quels sont les différents produits et services d'investissement? Quelles sont les obligations à respecter lorsqu'on communique sur une offre d'investissement? Qu'est-ce que le trading ou les cryptomonnaies? Quelles sont les sanctions encourues en cas de non-respect de la loi? Après la théorie, la pratique. Le vidéaste doit réussir l'examen final, sous forme de QCM.
Un certificat méconnu du grand public
"Nous avons un taux de réussite d'un peu moins de 80%", se félicite Mohamed Mansouri. Au total, près de 90 influenceurs financiers sont certifiés, contre 50 en début d'année. C'est le cas de Charles Sterling, finfluenceur suivi par 1,3 million d'abonnés sur Tiktok. Le créateur de contenus, également membre de l'Union des Métiers de l'Influence et des Créateurs de Contenu (UMICC), fait partie des tous premiers certifiés.
"En tant que membre du syndicat, ça me paraissait être un bon signal à envoyer à l'écosystème. Ca montre qu'on est sérieux. Alors je l'ai passé", souligne-t-il. Car le certificat n'est pas obligatoire.... et c'est là tout le problème. "Seuls les influenceurs responsables vont passer les certifications. Ceux habitués aux dérives ne s'y intéressent pas", regrette Charles Sterlings. "C'est un cercle vicieux." La jungle reste donc très dense.
Surtout, les créateurs ne sont pas vraiment incités à passer le certificat puisque les internautes n'en ont, pour la plupart, jamais entendu parler. Avant de s'abonner et, par exemple, de souscrire à une offre commerciale présentée en vidéo, ils ne vérifient donc pas si les vidéastes l'ont obtenu. Un comble pour ce diplôme initialement lancé pour protéger le grand public.
"L'audience ne fait pas la différence entre les créateurs certifiés ou non", grince un finfluenceur, très actif sur Instagram. "Certains vidéastes qui ne respectent pas les règles continuent à exploser les scores."
"Ca reste une bonne initiative"
"Ca reste une bonne initiative", tempère de son côté Charles Sterling. "Pour ceux qui s'y connaissent, c'est un rappel. Pour les autres, il y a quelques trous dans la raquette mais c'est un bon début." Un avis partagé par Laurent Cosmos Finance, créateur de contenus spécialisé dans l'économie et la finance. "A titre personnel, j'étais déjà sensibilisé au sujet", admet celui qui a obtenu la certification l'an dernier.
"Mais pour ceux qui se lancent dans l'influence, c'est une bonne base", souligne-t-il. "Dans nos contenus, on parle d'argent, de finance, d'économie... Il y a pas mal de risques."
Le créateur, suivi par 231.000 abonnés sur Instagram, conseille tout de même aux internautes d'être prudents. "Même les influenceurs certifiés font quelques oublis. Par exemple, les disclaimers (avertissements, NDLR) ne sont pas toujours ajoutés." En outre, le certificat, qui donne une certaine crédibilité aux influenceurs, ne valide en rien leurs contenus.
De son côté, l'ARPP assure auditer les créateurs de contenus, certifiés ou non. "On vérifie que les règles soient bien respectées. Par exemple, que le seuil de faux abonnés ne dépasse pas 20% ou si les règles autour des placements de produits financiers sont respectées", détaille le directeur délégué. "L'IA est notre meilleur allié pour identifier les trous dans la raquette. Elle a analysé 200.000 contenus au premier semestre."
Utile vis-à-vis des marques?
Selon le manquement, le créateur peut simplement être rappelé à l'ordre ou pire, se voir retirer son certificat. Une action "impactante" selon l'ARPP puisque le vidéaste pourrait ne plus collaborer avec certains grands groupes et donc, perdre sa source principale de revenus.
Plusieurs marques exigent le certificat avant de collaborer avec un créateur de contenus. Parmi elles, LCL, la BNP ou la Banque Postale. C'est justement comme ça que Laurent Cosmos a passé le certificat.
"Quand j’ai envisagé un partenariat avec LCL, ils ont exigé ce certificat. Pour eux, l'enjeu est que l'influenceur avec lequel ils collaborent maîtrise les bases nécessaires pour parler d'investissement", note Laurent Cosmos.
Mais ces marques restent des cas d'écoles. Sur la vingtaine d'entreprises avec lesquelles le vidéaste a travaillé, seules deux ont exigé le certificat.
"Lorsque le certificat a été lancé, toutes les marques ont annoncé qu'elles l'exigeraient. Mais dans les faits, ça reste rare", ajoute Charles Sterling. De son côté, le créateur de contenus a finalement fait le choix de retirer de sa biographie le fait qu'il a obtenu le certificat de l'influenceur responsable. "Maintenant, il y a des restrictions de caractères, alors je ne le mets plus", sourit-il. Selon les observations de Tech&Co, ceux qui ont obtenu le certificat l'affiche rarement sur leurs profils Tiktok, Instagram ou Facebook. A croire que quand on parle d'argent, montrer qu'on sait de quoi on parle n'est pas si important...