Accusations de "DPE de complaisance": les représentants des diagnostiqueurs montent au créneau

"Une interprétation simpliste": la Chambre des diagnostiqueurs immobilier se hérisse contre une étude publiée récemment par la start-up Krno. Le document remet en question la fiabilité du diagnostic de performance énergétique et pointe notamment des "effets de seuil".
L'étude juge que ce n'est pas un hasard si de nombreux DPE se concentrent juste avant le seuil pour lequel ils obtiendraient une plus mauvaise note. La start-up dénonce des "pratiques de complaisance", qui consisteraient, pour le diagnostiqueur, à changer quelques paramètres à la marge pour permettre à son client de gagner une classe énergétique.

De son côté, la Chambre des diagnostiqueurs immobiliers (CDI) reconnaît ces effets de seuil, mais les interprète très différemment. Elle assure que les DPE proches des seuils sont souvent plus fiables. Selon la CDI, les DPE sont parfois réalisés en "mode dégradé", c'est-à-dire en utilisant les valeurs par défaut, faute de données précises fournies par le propriétaire.
"Un propriétaire d'un logement identifié en début de segment du F a tout intérêt à se réveiller et à fournir enfin les justificatifs permettant de réaliser un DPE le plus précis possible", développe Thierry Marchand de la CDI.
Mais pour Ruben Arnold, fondateur de Krno, il s'agit "d'une preuve de la rupture de neutralité du diagnostiqueur puisque le propriétaire n'est pas censé avoir accès à la note avant son attribution finale".
"On ne nie pas le phénomène mais on conteste l'intensité"
Ruben Arnold dénonce aussi le fait que tant de DPE soient réalisés "en mode dégradé". Sur ce point, la CDI est d'accord: "Les valeurs par défaut ne sont pas exploitables, il faudrait systématiquement prendre des mesures très précises, mais pour cela, il faut que les propriétaires acceptent de payer plus cher pour le DPE", remarque Thierry Marchand.
Du côté de la Sidiane (Syndicat interprofessionnel du diagnostic immobilier), une autre fédération qui représente les diagnostiqueurs, on dénonce une étude "qui alimente le DPE bashing".
Le syndicat reconnaît toutefois que des effets de bord existent, mais dans une moindre mesure. "On avait fait une étude similaire il y a deux ans, et on avait observé ce phénomène mais de manière beaucoup moins concentrée", explique son président Jean-Christophe Protais.
"On ne nie pas que le phénomène existe, ce qu'on conteste, c'est l'intensité de la fraude."
"Je ne suis pas d'accord pour dire que 19% des biens F sont injustement reclassés en E, ou que cela représente 21 milliards de préjudice potentiel, ce n'est pas prouvé", dénonce Jean-Christophe Protais.
"Il faudrait que le dispositif soit plus cadré"
La CDI reproche aussi à Krno de ne prendre en compte que la consommation énergétique d'un logement, et de mettre de côté les émissions de gaz à effet de serre. En effet, lors de l'élaboration du DPE, une note pour chacune des deux variables est éditée, et à la fin, c'est la plus mauvaise qui fait foi.
Mais selon Krno, "les émissions de gaz à effet de serre n'ont pas d'impact dans le phénomène de rupture de seuil mis en évidence". Interrogée sur le sujet, l'entreprise Hello Watt, spécialisée dans la rénovation énergétique, estime que les résultats de cette étude paraissent "plausibles et cohérents".
"On a essayé de refaire la même chose avec nos données qui datent de 2022 et on retrouve les mêmes pics", explique le cofondateur Xavier Coudert.
"Lorsqu'on refait la courbe en prenant en compte les émissions de CO2, il n'y a pas de pic, parce qu'il y a moins de possibilité de jouer sur les paramètres", ajoute-t-il. Il dénonce aussi "le flou laissé à la main du diagnostiqueur qui peut faire basculer la note d’un côté ou de l’autre" et appelle à un meilleur encadrement du dispositif.
"L’origine de tous les problèmes, conclut Ruben Arnold, c'est que les seuils des classes énergétiques sont rigides, alors que les valeurs qui sont indiquées sont parfois arrondies, soumises à une marge d'erreur, une sorte de halo d'incertitude."