A Paris, la construction d'un immeuble de bureaux collé à un hôtel particulier suscite la colère

Vue de l'hôtel particulier - Google Street View
Un immeuble flambant neuf collé à un ensemble néogothique du XIXe siècle: ce cauchemar pour les défenseurs du patrimoine est en passe de devenir réalité dans un bel hôtel particulier parisien, où "des trous dans la raquette" ont désarmé les élus face au propriétaire. "Je ne vais pas me laisser faire." Parmi d'autres riverains du quartier chic de la Plaine-Monceau (XVIIe arrondissement), le radiologue Rodolphe Gombergh, 71 ans, est le premier opposant à la construction d'un bâtiment de cinq étages dans la cour de son immeuble.
Dans un quartier qui en regorge, cet ancien hôtel particulier construit en 1889 se compose de deux bâtiments de style néogothique, en brique, reliés par un portique de deux arches avec des grilles en fer forgé. Dans la cour, deux charmants ouvrages d'époque: un ascenseur à pompe et un garage à fiacre... contre lequel doit bientôt se dresser un immeuble de bureaux de cinq étages dont le blanc lumineux et la forme en escalier font tâche au milieu de l'ensemble.
Un bâtiment "comme à La Défense", "sans aucune allure," juge Rodolphe Gombergh en montrant le trou béant laissé par le creusement de la cour pavée pour y loger un sous-sol. La nouvelle construction a été commandée par l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern), un centre de recherche privé situé à Genève. Si le bâtiment contesté n'est pas encore sorti de terre, les travaux entamés en septembre 2021 ont déjà laissé quelques cicatrices: lanterne et grille portées disparues, morceaux d'arche arrachés puis colmatés, affaissement de la cour et, côté rue, d'une fenêtre au-dessus d'une nouvelle ouverture.
Un bâtiment protégé au titre du plan local d'urbanisme
D'où l'arrêt momentané des travaux, estime le médecin, qui a lancé plusieurs recours juridiques contre le projet. Comment celui-ci a-t-il pu être validé par la Ville de Paris, dans un bâtiment qui, s'il n'est pas classé monument historique, est tout de même protégé au titre du plan local d'urbanisme (PLU) ? "Bonne question, je me la suis posée moi-même", répond Emmanuel Grégoire, l'adjoint (PS) à l'urbanisme, pour qui le permis de construire est "passé sous les radars" parce que "totalement légal, ce qui fait qu'il n'a été traité ni par la mairie du XVIIe ni par mon cabinet".
"Nous avions un avis réservé et nous avions demandé au propriétaire de consulter les riverains", affirme le maire (LR) de l'arrondissement, Geoffroy Boulard, qui dit avoir reçu un permis initial "extrêmement succinct". En août 2019, la Commission du Vieux Paris, dont l'avis est consultatif, n'a rien eu à redire au projet, qui comportait alors un étage de moins.
Un an plus tard, le permis modificatif est délivré dans la foulée des élections municipales, à un moment où la commission met "un certain temps à être remise en place", justifie son président, Jean-François Legaret.
En résumé, "il y a eu des trous dans la raquette à tous points de vue", regrette Karen Taïeb, adjointe (PS) au patrimoine et élue du XVIIe arrondissement.
La mairie de cet arrondissement a réagi dès février 2021, en demandant un nouvel examen à la Commission du Vieux Paris. Ce que cette dernière a fait mi-juin 2022, réclamant la modification du projet.
Permis "dûment obtenu"
Mais "le permis est purgé de tout recours", souligne Emmanuel Grégoire, pour qui l'espoir est "modéré, voire faible" de voir le Cern accepter. Contacté par l'AFP, ce dernier ne s'est pas prononcé sur une éventuelle modification du projet, soulignant que son permis avait été "dûment obtenu" et affirmant avoir "toujours répondu favorablement à toute demande de réunion et d'échanges". Ses responsables "ne se rendent pas très disponibles", même si une première réunion de "conciliation" est prévue en septembre, rétorque toutefois Emmanuel Grégoire. "Que de temps perdu", regrette Geoffroy Boulard, pour qui ce dossier souligne "les carences de la Ville en matière de contrôle d'urbanisme et de patrimoine".
"Cette reconstruction d'un immeuble de bureaux dans un quartier excédentaire en bureaux n'a aucune légitimité", insiste l'élu de droite, qui veut tout autant éviter "un massacre sur le plan esthétique". Karen Taïeb espère toujours que le "porteur de projet puisse avoir une conscience patrimoniale". Sur le seul aspect chromatique, "un parement en brique serait déjà une évolution très positive", demande Jean-François Legaret.