Les milliardaires paient-ils vraiment deux fois moins d'impôts que la moyenne des Français?

Le système fiscal français serait-il inéquitable? C'est l'un des principaux arguments des défenseurs de la taxe Zucman qui défendent l'instauration d'un impôt plancher minimum de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros pour s'assurer que les milliardaires paient leur juste part d'impôts.
Car aujourd'hui, les plus riches paieraient en proportion de leurs revenus et "tous prélèvements obligatoires compris, deux fois moins d'impôts que la moyenne des Français", selon Gabriel Zucman. Une affirmation contestée par certains de ses pairs.
Pour y voir plus clair, il faut se tourner vers l'étude de l'Institut des politiques publiques (IPP) qui fait référence. Il en ressort que, rapporté au revenu économique (revenu fiscal auquel on ajoute notamment les bénéfices des sociétés contrôlées par les foyers fiscaux), le taux d'imposition global devient régressif à partir des 0,1% des foyers les plus aisés. Plus précisément, il passe de 46% pour les 0,1% les plus riches, à 38,7% pour le "groupe" des 0,01%, à 29,6% pour les 0,001% et à 26% pour les 0,0002% que l'IPP appelle "les milliardaires".
57% des Français bénéficiaires nets de la redistribution
En clair, les ultra-riches paient près de deux fois moins d'impôts que les très riches, notamment parce que leurs revenus se composent majoritairement de bénéfices de leurs sociétés non distribués (soumis à l'impôt sur les sociétés), et parce que certains recourent à des pratiques d'optimisation fiscale via des holdings familiales, ce que dénonce Gabriel Zucman.
Mais les milliardaires paient-ils pour autant moins d'impôts que la moyenne des Français? Sur BFM Business, le président délégué du Conseil d'analyse économique, Xavier Jaravel, reconnaît que le système fiscal français est régressif "tout en haut de la distribution" mais il affirme que ce n'est pas le cas "par rapport aux classes moyennes" ni aux "classes populaires".
"Il ne faut pas nier le problème très important de l'optimisation via les holdings, mais à nouveau, il ne s'agit pas non plus de noircir le tableau. Le système socio-fiscal français reste très redistributif", tempère encore l'économiste dans une interview aux Échos.
C'est ce que confirme une étude de l'Insee qui relève que 57% des Français sont bénéficiaires nets de la redistribution. En d'autres termes: 57% des ménages reçoivent en prestations, en transferts divers ou en services publics plus qu'ils ne versent.
"Cette part de personnes bénéficiaires nets de la redistribution élargie s’élève à 49% autour du niveau de vie médian, contre plus de 85% parmi les 30% les plus modestes et 13% parmi les 5% les plus aisés", soulignait l'institut de la statistique.
L'impact des transferts sociaux sur le taux d'impôt
Certains économistes reprochent d'ailleurs à Gabriel Zucman de ne pas tenir compte des transferts sociaux (RSA, prime d'activité...) dans le revenu des classes populaires pour calculer leur taux d'imposition globale.
Dans L'Express, l'économiste de Berkeley Antoine Levy illustrait ce problème avec l'exemple d'une personne percevant "200 euros de salaires et 646 euros de RSA". "Elle dispose donc de 846 euros pour vivre. Si elle dépense la totalité de cette somme, elle paiera environ 169 euros de TVA, soit l’équivalent de 20% de sa consommation. Mais dans le calcul de Zucman, Blanchard et Pisany-Ferry, ce taux d’imposition est rapporté non pas au revenu total (846 euros), mais uniquement aux 200 euros de salaire. Le résultat donne alors un taux de 84,5%". Un calcul jugé "absurde" par l'économiste qui conteste par ailleurs la prise en compte des cotisations sociales et notamment des cotisations retraite qui "donnent droit à des prestations futures" et sont "une forme de revenu différé".
Pour Gabriel Zucman, cette analyse a toutefois "de réelles limites". Dans un long article publié en juillet dans la revue le Grand Continent, l'économiste se justifiait en expliquant d'abord qu'"en pratique, les ménages ne perçoivent pas les transferts comme des impôts négatifs, et cela pour de bonnes raisons: par exemple parce que les taxes sont déduites immédiatement, là où les transferts sont souvent payés avec un décalage et un certain degré d’incertitude".
Il affirme ensuite que même en retirant les transferts monétaires "les milliardaires continuent à payer nettement moins d'impôts et cotisations (26%) que le François moyen -45% net de toutes les prestations famille, emploi, logement, pauvreté et exclusion sociale- et bien moins que la plupart des déciles de la distribution".
Il reconnaît enfin que le taux global d'impôt "tombe à 28% pour le Français moyen" si l'on exclut les dépenses de retraite et même à -6% "si l'on enlève tout le reste (santé, éducation, police, défense, justice, etc.)".
Mais "tout cela n’enlève rien au problème de base", à savoir que "même net des transferts perçus, (les milliardaires) paient moins que les contribuables situés en dessous d’eux — les cadres supérieurs, pour simplifier", estime l'économiste pour qui cette approche a uniquement le "mérite de rappeler que la dépense publique réduit fortement les inégalités, ce dont il faut se réjouir" et "c’est bien pour cela que la question de l’impôt, qui permet cette dépense, est si importante à (ses) yeux".