Attentats du 13-Novembre: les avancées d'une enquête tentaculaire

Les juges et enquêteurs sont en charge d'une affaire "tentaculaire". Deux ans après les attentats du 13-Novembre, qui ont coûté la vie à 130 personnes, il reste des zones d'ombre dans cette enquête. Des arrestations et des mises en examen pourraient également intervenir pour apporter "des clés de lecture", assurait d'ailleurs vendredi dernier François Molins, le procureur de la République de Paris. Mais la justice a désormais une vision claire de l'organisation de la cellule terroriste qui est passée à l'acte sur le sol français il y a deux ans.
Depuis le drame, les enquêteurs et magistrats travaillent sans discontinuer. L'enquête est bien loin de celles qui sont menées pour les attaques jihadistes perpétrées ces derniers mois. Aujourd'hui, ils ont constitué 220 tomes de procédure et réalisé 28.000 procès-verbaux. Surtout, treize personnes sont actuellement mises en examen dans ce dossier dont les investigations sont menées en France, en Belgique mais aussi dans plusieurs autres pays européens. Sept personnes font également l'objet de mandats d'arrêts internationaux. Pour la justice, qui espère clôturer son instruction au printemps 2019, il ne fait aucun doute que lors du procès, il y aura dans le box des accusés des membres actifs lors des attaques, dont Salah Abdeslam, et des complices.
Deux fratries au coeur des investigations
L'avancée de l'enquête permet désormais de comprendre l'importance de deux fratries: les Abdeslam et les El Bakraoui. Concernant les premiers, leur bar à Molenbeek, en Belgique, est au coeur des investigations alors qu'il était connu des autorités pour y abriter un trafic de drogue. Brahim, l'aîné, est mort à Paris le 13 novembre quand il a déclenché sa ceinture d'explosifs au Comptoir Voltaire, ne tuant que lui, mais blessant grièvement d'autres personnes. Salah est lui mis en examen et placé en détention en France. Seul survivant des attentats du 13-Novembre, son rôle est désormais, aux yeux des enquêteurs, celui d'une cheville ouvrière dans l'organisation des attaques.
Si Salah Abdeslam, interrogé à six reprises par un juge d'instruction, fait toujours valoir son droit au silence, les enquêteurs savent désormais qu'il est celui qui a recruté et convoyé les jihadistes, arrivés de Syrie, en traversant l'Europe. C'est lui aussi qui a loué les véhicules qui ont servi aux attaques. Élément déjà connu, Abdeslam a conduit les trois kamikazes du Stade de France. Il est également à l'origine d'achat de produits pour confectionner du TATP, l'explosif utilisé par les terroristes. Enfin, avec l'aide des frères El Bakraoui, il commandait les faux papiers utilisés par les terroristes. Ainsi, sans être le cerveau, il a apporté tous les éléments pour passer à l'acte.
Des seconds couteaux au premier plan
Tous les protagonistes de ce dossier, à l'exception de Salah Abdeslam, seul survivant des commandos du 13-Novembre, ont un point commun: celui d'avoir séjourné en Syrie, d'où ont été préparées les attaques. Les frères El Bakraoui, figures du grand banditisme, ont eu aussi été identifiés comme des logisticiens des attentats de Paris. Ils auraient notamment activé les téléphones portables utilisés lors des attentats. Ils vont mourir lors des attaques à Bruxelles le 22 mars 2016 en se faisant exploser: Ibrahim, à l'aéroport de Zaventem, Khalid, dans le métro bruxellois.
En lien avec les frères Abdeslam, ils vont confier la confection des faux papiers utilisés par les jihadistes à un intermédiaire, Farid Kharkhach. Une preuve de leur préparation et de leur organisation méticuleuse lancée des mois auparavant. Rattrapé que récemment par les autorités, ce dernier a été mis en examen en juillet dernier pour "association de malfaiteurs terroriste", il a reconnu avoir fourni trois faux documents d'identité, mais a assuré ne pas être au courant du projet terroriste. Un élément qui laisse les enquêteurs perplexes.
L'enquête menée depuis deux ans a en effet permis de déterminer que des acteurs présentés comme de seconde zone auraient eu un rôle bien plus important dans l'organisation de la cellule jihadiste. C'est le cas de Mohamed Bakkali qui est désormais présenté comme le plus haut responsable des attaques. Âgé de 30 ans, il est soupçonné d'avoir été le donneur d'ordres à Salah Abdeslam. Il aurait également pris en charge les kamikazes à leur arrivée en Europe, loué la plupart des appartements conspiratifs, comme à Charleroi, Auvelais et Scharbeek où les ceintures explosives utilisées le 13 novembre 2015 ont été fabriquées, et a été en lien avec Farid Karkache. Interpellé et mis en examen en Belgique, la France a obtenu des autorités belges une remise du suspect à brève échéance.
Zones d'ombre
Au-dessus de Mohamed Bakkali, on pourrait trouver Oussama Atar, dit Abou Hamad, et cousin des frères El Bakraoui. Vétéran du jihad dans les rangs d'al-Qaïda en Irak, et désormais sous le coup d'un mandat d'arrêt international délivré en décembre 2016, il a été emprisonné en Irak jusqu'en 2012. Dans des ordinateurs perquisitionnés dans des logements considérés comme conspiratifs, des demandes d'instructions lui étaient envoyées. Il aurait également exercé son influence sur son petit frère. Jusqu'alors épargné par l'enquête sur les attentats, Yassine Atar, détenteur de la clé d'une planque, a été interpellé en Belgique et la France a délivré un mandat d'arrêt le 3 août dernier contre lui pour "association de malfaiteurs, complicité et tentatives d'assassinats". En contact avec Mohamed Bakkali et les frères El Bakraoui, ces derniers l'ont remercié pour ce qu'il a fait.
"Toi aussi tu fais partie de la cause, tu es un frère", a déclaré un des frères El Bakraoui dans un enregistrement audio retrouvé dans une des planques Schaerbeek en Belgique. Celle d'où étaient partis les terroristes pour l'aéroport de Zaventem.
Parmi toutes les zones d'ombre qui persistent dans ce dossier, à commencer par la question du financement, les enquêteurs sont intrigués par le recul de Salah Abdeslam et Mohamed Abrini face à la mort. Amis d'enfance, les deux hommes sont les seuls survivants des attentats de Paris et de Bruxelles. Si l'implication de Salah Abdeslam ne fait aucun doute, au vu des éléments dans le dossier, la participation de Mohamed Abrini, surnommé "l'homme au chapeau" pendant sa cavale, est incertaine. Il a aidé à la location des véhicules qui ont servi aux commandos, il les a accompagnés pour leur dernier voyage. Mais lui est rentré le 12 novembre en Belgique. Les deux suspects entreront en cavale ensemble jusqu'au 16 mars 2016, six jours avant les attaques de Bruxelles. Celui qui a été surnommé "l'homme au chapeau" participera bien à ces attentats mais ne se fera pas exploser comme ses complices.
D'autres attaques prévues?
Salah Abdeslam, muré dans son silence, n'a pas expliqué pourquoi il avait survécu aux attentats du 13-Novembre. A-t-il renoncé au dernier moment avant d'appeler des complices pour qu'ils viennent le chercher ou sa ceinture était-elle défectueuse? La seconde hypothèse, de plus en plus privilégiée par la justice qui dispose de plusieurs témoignages en ce sens, explique que le détonateur n'aurait pas fonctionné ou qu'il manquait de liquide pour que sa ceinture explosive fonctionne. Par ailleurs, des lettres retrouvées dans un ordinateur saisi, adressées à sa mère et à sa soeur, font peu de doute sur son projet funeste.
Des analyses sont toujours en cours sur la ceinture d'explosifs retrouvée à Montrouge au lendemain des attaques. Le rôle de Abdelhamid Abaaoud reste lui aussi mystérieux. Présenté un temps comme le "cerveau", le "coordinateur" du 13-Novembre, il était aussi le seul à ne pas être muni d'un gilet explosif et a passé plusieurs jours caché avant d'être repéré dans un appartement de Saint-Denis puis abattu lors de l'assaut donné par le Raid.
La cellule prévoyait-elle d'autres attentats d'ampleur en Europe? Au-delà du projet avorté qui devait viser le quartier de la Défense le 18 novembre par Abaaoud et Chakib Akrouh, abattus le jour même à Saint-Denis, l'analyse d'un ordinateur et différents repérages réalisés par des membres de la cellule jihadiste font dire que l'aéroport de Schiphol, aux Pays-Bas, aurait notamment pu être une cible. Mohamed Abrini a également confié aux enquêteurs que l'Euro 2016 qui a eu lieu en France aux mois de juin et de juillet était une cible.