"La Ligue 1 de la tech": pourquoi San Francisco continue de fasciner les entrepreneurs français

"Ici lorsqu'on entre dans un café, on peut rencontrer notre futur collaborateur". Teinté d’un brin d’ironie, Nicolas Dessaigne affirme pourtant ne pas être loin de la réalité. Ici, c’est San Francisco. Le lieu de tous les entrepreneurs tech qui veulent monter ou développer leur affaire. Souvent déçus de Paris, voulant rêver plus grand, ils souhaitent se confronter aux géants du secteur.
Nicolas Dessaigne est arrivé à San Francisco en 2015. Grand, mince, cheveux poivres et sels, il a le sens du timing et indique arriver dans "7 minutes". Il a donné rendez-vous à Tech&Co dans les locaux de Y Combinator, l’un des plus importants incubateurs tech au monde, situé en plein coeur de San Francisco dans une rue qui regroupe toutes les grandes marques de luxe. Tables, chaises, murs de briques, cuisine équipée, l’espace entièrement vitré est pensé pour accueillir au mieux les nouveaux entrepreneurs.
"C’est la première fois que je viens ici", reconnaît-t-il. Depuis la pandémie, Y Combinator jongle entre les accompagnements en virtuel et en présentiel. Airbnb ou Dropbox sont des exemples des quelques 3000 entreprises qui ont bénéficié de Y Combinator, de l'idée du concept jusqu'à leur entrée en bourse. Quelques entreprises françaises font partie des startups incubées.
Parmi elles, Algolia, l’entreprise que Nicolas Dessaigne a fondé. Lorsqu’un consommateur fait une recherche de produit sur les sites de Lacoste, LVMH ou encore ManoMano, la page de résultats qui s’affiche est traitée par Algolia. "On compte aujourd’hui 17.000 clients dans le monde et entre 5 et 6 milliards de requêtes par jour."
"La Ligue 1 de la tech"
A l’hiver 2014, Algolia, fondé à Paris, se présente donc pour être accompagné par Y Combinator. Bingo, l’entreprise est accompagnée quelques mois plus tard. Le départ pour San Francisco s’organise, et Nicolas Dessaigne arrive en 2015. "Venir ici c'était l'opportunité de s’adresser à un marché global plutôt qu’uniquement européen ou français", explique-t-il.

L’entreprise a décidé de s’installer à San Francisco car "c’est la destination numéro un pour tous les entrepreneurs, les talents sont beaucoup plus accessibles. San Francisco est peu la Ligue 1 de la tech", s’amuse à comparer l’entrepreneur. S’il admet que San Francisco n’est pas un passage obligé, il soutient que la ville est d’une grande aide et s'enthousiasme: "ici on voit plus grand, on est tout de suite dans le grand bain, mais par conséquent tout est plus dur".
Alors qu’Y Combinator l’a aidé a développer son entreprise, il veut à présent donner un coup de pouce à la nouvelle génération. Il a laissé son poste de directeur chez Algolia, bien qu'il garde toujours un œil sur l'entreprise, qui conserve des bureaux à Paris. Nicolas Dessaigne est désormais conseiller chez Y Combinator. “YC m’a beaucoup aidé, j’ai pu bénéficier tout de suite de leur réseau avant même celui de la communauté française présente ici, je veux maintenant tendre la main à mon tour”.
Lorsqu’il compare son expérience américaine à celle de Paris, il avance que son entreprise n’aurait pas grossi aussi rapidement s’il était resté en France. Cependant, "le contraste est moins fort entre Paris et San Francisco qu’il ne l’était il y a dix ans. Il observe par exemple que les levées de fonds à Paris sont beaucoup plus simples aujourd'hui et que les entrepreneurs sont mieux formés.
Il se dit fasciné par "l’esprit de sérendipité" présent dans la ville californienne.
"À San Francisco, la tech c’est l’industrie locale. J'ai l'impression qu'il y a plus d’entrepreneurs européens ici qu'à Paris".
Et pour cause, les entrepreneurs français sont nombreux à avoir choisi San Francisco et la communauté française rassemble près de 60.000 personnes. “Nous avons près de 3000 personnes sur notre listing", précise Sophie Rougerie, coordinatrice de la French Tech San Francisco.
La French Tech bien implantée
Arrivée dans la Bay Area il y a un peu plus de dix ans avec sa famille, Sophie Rougerie coordonne la French Tech San Francisco depuis un peu plus d’un an. Son rôle consiste à mettre en relation les entrepreneurs français, à organiser des évènements pour que chacun puisse se faire un réseau, "créer une dynamique et une synergie", complète-t-elle.
Lancée en 2016, l’antenne de San Francisco connaît une "bonne dynamique et s’est rapidement implantée. Au vu du nombre de Français ici, il y a un réel besoin de structures comme celle-ci", observe l'entrepreneuse. "Sky is the limit", est un peu le mantra de Sophie pour décrire l’esprit américain. "Ici la seule limite c’est ton énergie”, poursuit-elle. "A San Francisco tout va plus vite", ce qu’elle a pu expérimenter elle-même avec son entreprise.

Elle est venue à la fois pour des raisons personnelles, "nous voulions que nos trois enfants parlent anglais et acquièrent une réelle capacité d’adaptation", mais aussi professionnelles. A son arrivée, son entreprise développe des lits de voyage pour bébé appelés Magicbed. "Les levées de fonds ici sont plus faciles et plus rapides, les plafonds plus hauts et l'accompagnement plus simple".
En tant que Française expatriée, elle a été "agréablement surprise" par la manière dont il est assez facile de s’intégrer. "Les gens viennent facilement à nous, des associations ou la communauté française ont été très utiles".
Elle a aussi travaillé dans les relations publiques et la communication, ce qui lui a permis de rencontrer les entrepreneurs français et les acteurs de la Silicon Valley. "On a fini par me proposer ce poste de coordinatrice de la French Tech San Francisco".
Pour autant, monter une affaire aux Etats-Unis s’avère bien plus risqué: “il n’y a aucun filet, pas de système social ni d'indemnités de chômage. Si ton affaire ne fonctionne pas, que tu es locataire, tu perds ton logement". Après le Covid, les Etats-Unis, ont mis en place un système d'aides aux entreprises. "Dans la Silicon Valley, c'est toi qui construis ta stabilité", tranche la coordinatrice.
A la question, "les Etats-Unis volent-ils des talents à la France?", elle rétorque qu'elle voit plutôt cela comme "un équilibre. La French Tech est aussi là pour montrer ses entrepreneurs. Puis c'est une dynamique, les Français vont et viennent, ils ne restent souvent pas à San Francisco indéfiniment". De son côté, elle a demandé tout de suite la carte verte et n'a, pour le moment, pas de date de retour en France.
Au-delà de la frontière américaine, la French Tech se porte plutôt très bien, puisqu'elle a connu en 2022 une levée record de fonds à hauteur de 14 milliards d'euros.