Tech&Co
placeholder video

"Elle n'a pas vu ses limites": de son ascension à la prison, l’influenceuse Poupette Kenza tente un retour après de "très mauvaises décisions"

L'influenceuse sort un livre ce jeudi 22 mai où elle promet de "tout dire" après son passage en prison l'an dernier. Après avoir connu un succès fulgurant sur les réseaux sociaux, en dévoilant son quotidien et celui de sa famille, la jeune femme est désormais poursuivie dans une affaire d'extorsion.

Un retour évidemment annoncé sur les réseaux sociaux. Le 1er mai, Poupette Kenza a fait une réapparition en ligne, après plusieurs mois de silence. Dans sa publication Instagram, likée par près de 480.000 comptes, elle promet de "tout dire" à ses "poupettes", comme elle appelle ses abonnées, dans un livre qui paraît ce jeudi 22 mai, intitulé De Poupette à Kenza.

Car la vie de l'influenceuse a basculé ces derniers mois, de la façade des réseaux à la criminalité. Interpellée le 4 juillet à Rouen, elle a été mise en examen dans une affaire d'extorsion et placée en détention provisoire.

Il lui est reproché d'avoir eu recours à un homme de main pour menacer un couple dont elle était proche et tenter de récupérer une importante somme d'argent. Selon le récit de l'influenceuse, ce couple formé par son ancienne agente et son compagnon, lui aurait volé de l'argent.

Enceinte de son troisième enfant, elle aura passé quatre mois derrière les barreaux, avant d'être libérée en octobre et placée sous contrôle judiciaire. Pour celle qui a été l'une des principales figures de Snapchat en France, la chute a été à la hauteur de la fulgurance de son ascension.

Sa vie racontée sur les réseaux comme "un feuilleton"

Kenza Benchrif, de son vrai nom, n'était pas pré-destinée à connaître une telle exposition médiatique: elle a passé une partie de son enfance, marquée par l'absence de son père, dans un HLM à côté de Rouen. Si elle commence à être suivie sur les réseaux sociaux grâce à l'exposition dont elle bénéficie par ses cousines, Anissa et Soukaina Twosisters, elle explose réellement entre 2020 et 2021, après une histoire rocambolesque comme elle seule en a le secret.

"Un jour, elle se fait voler sa voiture, elle snappe en pleurant" et mobilise ainsi sa communauté pour l'aider à retrouver son véhicule, raconte Audrey Chippaux, qui tient le compte Instagram Vos stars en réalité, qui alerte sur les arnaques des influenceurs. "Donc dès le début, elle avait un lien fort" avec ses "poupettes", souligne l'autrice du livre Derrière le filtre, enquête sur le système de l'influence.

Et c'est probablement un ingrédient important de la recette du succès de Poupette Kenza. Au fil des années, ses abonnées l'ont vue se marier, avoir deux enfants et déménager à Dubaï. Elle documente toutes ces aventures sur Snapchat, où elle publie des dizaines de stories par jour.

"Ce que j'ai aimé, c'est qu'on se sentait proche d'elle, elle partageait tellement sa vie 24 heures sur 24, on savait où elle était, ce qu'elle allait manger, c'est comme notre sœur", raconte Claire*, étudiante de 25 ans qui suit la jeune femme depuis sept ans.

Ovni dans le milieu de l'influence, elle y crée son propre registre, qui se rapproche parfois plus de la télé-réalité: Albina, également abonnée, parle ainsi de ses stories comme de son "feuilleton du soir".

Les "poupettes" mettent toutes en avant son côté spontané: "Poupette snappait tout et n'importe quoi. Ce n'était pas calculé, mais très naturel et authentique", affirme Albina, 24 ans. "Parfois trop" d'ailleurs, pour son avocat Me Jérémy Kalfon. En cela, elle détonne dans l'univers des influenceurs, où les contenus sont souvent très maîtrisés, sur le fond comme sur la forme.

Et aussi parce qu'à une époque où les créateurs de contenus multiplient les "projets", les lancements de marques en tout genre, les superproductions, elle se démarque avec des contenus axés sur la vie faussement simple d'une femme au foyer qui fait la cuisine et s'occupe de ses enfants. Faussement simple car la spontanéité a des limites.

"C'est réfléchi, Poupette savait placer son téléphone. Qui met son téléphone en dessous de son lit quand on fait ses lacets à sa fille? Elle avait bien conscience que c'était devenu un travail. Elle sait ce qu'elle fait et maîtrise très bien le réseau social", insiste Audrey Chippaux.

Un lien très fort avec ses "poupettes"

La jeune femme "a développé un lien parasocial très fort avec ses abonnées dès le début et l'a entretenu en faisant participer sa communauté", analyse-t-elle aussi. Claire souligne par exemple qu'elle répondait très rapidement aux messages de ses abonnés: "on n'avait pas l'impression que c'était une influenceuse, mais que c'était une amie".

Ce phénomène est amplifié par les "appels à l'émotion" que Poupette Kenza fait, selon Audrey Chippaux: "on l'a vue pleurer en story, partager ses ressentis. Elle disait très régulièrement à sa communauté, 'mes poupettes je vous aime merci pour tout', tout cela crée du lien".

Un lien parfois toxique, juge cette lanceuse d'alerte, pour qui Poupette Kenza a "une emprise sur ses abonnées". Certains en ont fait les frais, comme Sarah Tanzili. Alors députée, elle annonce en 2023 saisir le procureur de la République de Rouen pour ce qu'elle estime être de la "négligence", de la "mise en danger d'enfants" et de la "diffusion d'images pédopornographiques" par Kenza Benchrif. Elle dénonce plusieurs images publiées par la jeune femme sur ses réseaux sociaux impliquant ses enfants.

Le lendemain, Sarah Tanzili explique avoir reçu une vague d'insultes et de menaces de la part des "poupettes", que l'influenceuse encourage sur Snapchat, republiant des attaques qu'elle juge "méritées" par la députée.

Tous les soirs dans Le Titre à la Une, découvrez ce qui se cache derrière les gros titres. Céline Kallmann vous raconte une histoire, un récit de vie, avec aussi le témoignage intime de celles et ceux qui font l'actualité.
Qui est Poupette Kenza, l'influenceuse qui reconnaît être impliquée dans une affaire d'extorsion
15:59

Certaines de ses "poupettes", sont prêtes à prendre sa défense envers et contre tout. Comme Albina, qui a "énormément de peine pour elle" car elle a "reçu beaucoup d'acharnement, de harcèlement": "Poupette snappait seulement son quotidien et a reçu une vague de haine injustifiée", déplore la jeune femme qui travaille dans le commerce.

Enfants exposés en ligne, polémiques et affaires judiciaires

Au fil des années, les polémiques se sont pourtant accumulées pour la jeune femme. Elle fait l'objet de signalements aux autorités concernant ses enfants qu'elle expose énormément sur ses réseaux sociaux, les montrant au réveil, en train de pleurer, de manger, après une punition, en train de dormir…

On la voit une fois en train de marcher sur la main de sa fille, trop concentrée sur son téléphone pour s'en apercevoir. Elle dévoile des moments intimes en famille, comme lorsqu'elle demande à ses enfants s'ils seront tristes si elle quitte leur père.

Cette surexposition joue contre elle en 2023, lorsqu'elle perd la garde de son fils pendant deux semaines. Le bébé de neuf mois est hospitalisé pour une fracture du crâne inexpliquée et les services sociaux dénoncent notamment l'activité frénétique de Poupette Kenza sur les réseaux sociaux. Elle finit par récupérer son fils et fait de toute cette histoire une vidéo, depuis vue près de trois millions de fois.

Sur le plan judiciaire, elle est également visée par une procédure pour des propos antisémites, après avoir déclaré en mai 2024: "je suis une propalestinienne, je ne travaille pour aucune personne sioniste ou juive".

Elle est aussi l'influenceuse à avoir écopé publiquement de la plus importante amende en France. En 2023, elle doit payer une amende transactionnelle de 50.000 euros pour avoir réalisé des collaborations commerciales sans en indiquer le caractère publicitaire et pour avoir fait la promotion de bandes de blanchiment dentaire interdites en France. "Quasiment aucun partenariat n'était identifié" comme tel, affirme Audrey Chippaux.

"Elle a profité de nous"

Et certains de ses manquements ont eu des conséquences très concrètes sur la vie de plusieurs personnes. Comme Inès*, qui a travaillé dans le salon de beauté de Poupette Kenza à Rouen. En septembre, la préfecture de Seine-Maritime a ordonné la fermeture administrative de l'établissement pour travail dissimulé.

Inès fait partie des employées du salon qui n'ont pas été déclarées. Elle était en pleine demande de naturalisation et la procédure a eu du retard puisqu'elle n'a pas pu soumettre les bulletins de salaire requis.

"Je suis très déçue et en colère, je n'ai toujours pas ma nationalité et après mon contrat j'ai eu des soucis de santé, et comme je n'avais pas de preuves que j'avais travaillé, je n'ai pas eu le droit à la Sécu ou au chômage", dénonce-t-elle. Lorsqu'elle repense à son expérience chez O'Suntime, Inès est très amère.

"Elle avait les moyens de nous déclarer, de ne pas nous mettre dans cette situation. Elle a profité de nous, dans le sens où les dimanches n'étaient pas payés comme des dimanches et les nocturnes étaient payées comme des jours normaux", affirme-t-elle.

"Elle est extrêmement seule"

En quelques années, Poupette Kenza, aujourd'hui âgée de 24 ans, aura explosé en notoriété tout en construisant sa famille et ses business. Tout est allé trop vite. Pour Audrey Chippaux, "c'était toujours plus avec Poupette". "Il lui manquait de la maturité" et "peut-être de l'encadrement", estime la lanceuse d'alerte.

Autour d'elle dans ses stories: uniquement son mari et ses enfants. Les amitiés arrivent, et surtout repartent. "Elle a énormément de mal, compte tenu de son statut, à tisser des amitiés qui ne sont pas intéressées. C'est très compliqué pour elle. En plus, elle a évolué toute sa vie dans un milieu qui n'avait pas beaucoup d'argent", confirme son avocat, Me Jérémy Kalfon.

"Elle est extrêmement seule", ajoute-t-il. "Kenza est une femme qui a brassé énormément d'argent très vite. Elle a quelques amis d'enfance qui lui ont été fidèles. Mais autour d'elle a gravité un entourage de vautours, qui l'ont souvent poussée à prendre de très mauvaises décisions", développe l'avocat.

Sur le plan professionnel, difficile de savoir à quel point elle a pu être entourée. La personne qui a été son agente est aussi celle à qui elle a tenté d'extorquer de l'argent via un homme de main, ce qui lui vaut d'être mise en examen aujourd'hui. En tant que "poupette", Claire pense aussi que Kenza Benchrif "s'est laissée prendre par le jeu des réseaux" et "n'a pas vu ses limites". "C'est pour ça que sa chute est arrivée", estime-t-elle.

Une minimisation de son rôle dans l'extorsion?

En quelques jours, elle sera passée de son appartement à Dubaï à la prison, en France. Elle a depuis reconnu son implication dans cette affaire d'extorsion contre son ex-agente, qu'elle accuse de lui avoir volé de l'argent. "Devant son incapacité à recouvrer sa créance par des moyens légaux et amicaux, elle a pris la décision, somme toute catastrophique, elle le reconnaît, de recourir à une personne dont le but était d'intimider les débiteurs", explique son avocat, Me Kalfon.

Mais elle assure qu'elle "a été très largement mise à l'écart de la méthode par la personne qu'elle avait missionnée qui a pris de très grandes libertés qui ont conduit aux faits que l'on connaît". À savoir, "diverses surveillances (physiques, implantation de mini-caméra aux abords de leur domicile et balise GPS placée sur leur véhicule)" et des menaces physiques, selon le procureur de la République de Rouen.

"L’homme de main a agi de sa propre initiative, motivé, je pense, par le fait qu’il serait payé uniquement si la mission était réussie", résume l'influenceuse dans une interview au Parisien.

L'affaire est toujours en cours d'instruction et Poupette Kenza, ainsi que son mari, restent mis en examen et sous contrôle judiciaire.

"Mon avocat m’a expliqué qu’en droit, l’extorsion c‘est soustraire de l’argent par la menace ou l’intimidation. Alors oui, in fine, c‘est de l’extorsion. Mais j’ai du mal à me dire que j’ai tenté d‘extorquer mon propre argent", ajoute-t-elle auprès de nos confrères.

Contacté par BFMTV.com, l'avocat du couple menacé dénonce la "mise en scène" de Poupette Kenza, qui "orchestre son retour médiatique à des fins commerciales et tente, en vain d'adoucir son image". "Minimiser ainsi la gravité des faits banalise le crime, tout en affichant un profond mépris pour les victimes", ajoute Me Mehdi Soum.

"C‘est aussi mon droit de m’exprimer, se défend Poupette. Outre l’affaire, le but était aussi de raconter le cheminement de ma vie, mon autobiographie. J’ai dérapé parce que j’ai ressenti un trop-plein d’émotions incontrôlable. Je réfléchis souvent après avoir agi."

"Exercer son métier différemment"

Avec son livre qui paraît ce jeudi 22 mai, l'influenceuse tente de reprendre la main sur le récit de sa vie, comme elle le faisait jusque-là sur les réseaux sociaux. Reconnaissant une forme d'addiction et une dépendance aux réactions provoquées par ses stories, Poupette Kenza confie dans son livre, son "besoin d'être aimée par tout le monde".

Aujourd'hui, son avocat assure qu'elle a "la volonté d'exercer son métier différemment" et qu'elle "a compris la responsabilité qui de facto était la sienne".

L'influenceuse l'affirme auprès du Parisien, "vous ne me reverrez pas sur les réseaux sociaux avant au moins cet automne" et d'ajouter: "si je reviens sur les réseaux, je serais totalement détachée, dans un état d'esprit différent".

L'avocat du couple victime de tentative d'extorsion n'est pas dupe et met en avant le risque "significatif" "de réitération d'un crime crapuleux". Il oppose à Poupette Kenza l'attitude de ses clients qui affichent "dignité", "silence" et "patience".

*Les prénoms ont été modifiés

Sophie Cazaux