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Face au risque d'être interdit aux moins de 15 ans, Wikipédia s’inquiète

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Une proposition de loi restreignant l’utilisation des réseaux sociaux aux plus de 15 ans pourrait toucher TikTok, Instagram et Facebook…mais aussi des sites comme Wikipédia. L’association Wikimédia France a fait part de ses inquiétudes à Tech&Co.

Faire ses devoirs ou se renseigner sur son acteur favori risque d’être plus compliqué pour les internautes de moins de 15 ans. Un texte, qui doit encore être débattu devant le Sénat, propose de bloquer l’accès aux réseaux sociaux aux mineurs de moins de 15 ans, soulevant les inquiétudes des réseaux sociaux, mais aussi d’autres plateformes qui pourraient être concernées comme Wikipédia, expliquait le site L'Informé début mars. Wikimédia France, par la voix de son président, a expliqué à Tech&Co craindre l’imposition d"un contrôle d'âge en ligne d'une manière qui menacerait [la] vie privée et [la] sécurité" des internautes.

Définition sujette à caution

Si elle doit encore passer devant le Sénat, la "proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne", portée par le chef de file des députés Horizons Laurent Marcangeli, a déjà été adoptée par l’Assemblée nationale le 2 mars en première lecture. Elle vise à réduire l’exposition des mineurs aux contenus haineux, pornographiques ou de désinformation sur Internet, alors que l’âge moyen d’inscription sur un réseau social est de 8 ans et demi, d’après une enquête menée par la CNIL en 2020.

Au coeur du problème, repose la façon dont le texte définit un réseau social dans son article 1er, comme "toute plateforme permettant aux utilisateurs finaux de se connecter et de communiquer entre eux, de partager des contenus et de découvrir d’autres utilisateurs et d’autres contenus, sur plusieurs appareils, en particulier au moyen de conversations en ligne, de publications, de vidéos et de recommandations". Des sites participatifs qui disposent de forums de discussions comme Wikipédia sont donc directement concernés.

Cette définition "reprend d'ailleurs, quasiment littéralement", celle retenue par le règlement européen sur les marchés numériques ou Digital Market Act (DMA), mais sans les conditions qui faisaient que Wikipédia en était exclue, affirme Rémy Gerbet, directeur de l'association Wikimédia France, qui regroupe des utilisateurs de l’encyclopédie participative.

Le dirigeant note qu’une telle distinction est possible, alors que des directives européennes, comme celle sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, ont exclu par le passé certains "services de la société de l'information", comme "les plateformes de développement et de partage de logiciels libres, les répertoires scientifiques ou éducatifs à but non lucratif, ainsi que les encyclopédies en ligne à but non lucratif".

Pour la chargée de plaidoyer de l’association, Naphsica Papanicolaou, "une demande d’exemption" de Wikipédia "est une alternative", dans la mesure où "au niveau européen, l'encyclopédie se voit aussi régulée de la même manière que les Big Techs de par sa taille et son nombre d'utilisateurs alors même que l'objectif n'est pas le même".

Menace sur les données

La législation européenne, inscrite dans le droit français en 2018, avait déjà soulevé la question de la "majorité numérique", en laissant la possibilité de la fixer entre 13 et 16 ans. En dessous de cet âge, un accord parental était en théorie requis pour traiter les données personnelles d’un mineur, mais le texte n’avait alors pas eu d’application pratique véritable.

Dans sa version actuelle, le texte interdit totalement l’accès aux réseaux sociaux aux mineurs de moins de 13 ans, et soumet l’inscription des adolescents entre 13 et 15 ans à une autorisation parentale, dont les modalités pratiques n’ont pas été précisées.

Parmi les solutions envisageable, la directrice de l’Association e-Enfance Justine Atlan, interrogée sur Franceinfo début mars, citait "la biométrie qui permet d’estimer l’âge d’une personne à partir d’une photo, la vérification de la carte d’identité ou bien des systèmes de preuves par des tiers de confiance".

De son côté, Wikimédia France suggère plutôt que "la vérification de l'âge en ligne se fasse au travers d'outils et de solutions qui existent déjà, tels que le contrôle parental", via les appareils ou les navigateurs.

Sans cela, "la vérification ou l'assurance obligatoire de l'âge obligerait la Fondation Wikimédia, l'hébergeur et le responsable légal de l'encyclopédie, à collecter beaucoup plus de données sur les utilisateurs qu'auparavant pour connaître l'âge des lecteurs", avance Rémy Gerbet. Il déplore que cette mesure expose "les adultes et les enfants à de nouveaux risques en matière de sécurité et de confidentialité", alors que pèsent sur de nombreux utilisateurs "des menaces de surveillance et de représailles politiques".

Lucie Lequier