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Placements verts : du nucléaire, du gaz… Et des soupçons de greenwashing ?

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La Commission européenne a décidé, mercredi 2 février, d’intégrer le gaz et le nucléaire au sein de sa nouvelle « taxonomie verte », reconnaissant, sous certaines conditions, leur contribution à la lutte contre le changement climatique. Une décision qui passe mal du côté des investisseurs et des sociétés de gestion.

Investir de façon responsable, donner du sens à son épargne... C'est désormais possible en tablant sur des secteurs tels que le gaz et le nucléaire. Début février, la Commission européenne a, en effet, approuvé une liste de critères qui permet de classer comme « durables » les investissements réalisés dans des centrales nucléaires ou dans certaines activités gazières.

Jusqu'à présent, cette classification était réservée aux énergies renouvelables. Mais l’instance, qui s’est fixée pour ligne de conduite d’atteindre un objectif de neutralité carbone d’ici 2050, a décidé de faire preuve de flexibilité en choisissant d’inclure dans la taxonomie européenne le gaz et le nucléaire. Une taxonomie européenne qui a pour but de désigner les activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement afin d’orienter les investissements vers des activités considérées comme « vertes ».

L'Europe divisée

Mais le texte est loin d'avoir remporté l'adhésion de l'ensemble des pays membres de l'Union. Si des pays comme la France (qui a récemment affiché sa volonté de relancer sa filière nucléaire en prolongeant la durée de vie de ses réacteurs nucléaires au-delà de 50 ans et en créant un nouveau parc nucléaire) ont plaidé en faveur de cette décision, d’autres États à l’instar de l’Allemagne, de l’Autriche, ou bien encore du Luxembourg s’y sont fermement opposés. Berlin par exemple, qui a toujours recours aux centrales à charbon, table sur l’essor des éoliennes et du solaire, ainsi que sur de nouvelles centrales au gaz pour assurer son approvisionnement. Et ce, en dépit des critiques sur sa dépendance à la Russie. L’Autriche, de son côté, a non seulement contesté le label vert pour le gaz aux côtés de la Suède et des Pays-Bas, mais également annoncé, peu après l’approbation, son intention d'engager une action en justice contre cette décision.

Il faut dire que grâce à cette classification, les investissements dans des filières énergétiques comme le gaz et le nucléaire vont pouvoir bénéficier de financements privés et publics (européens d’abord) importants. Ceux-ci pousseront à la construction de centrales dans les pays qui doivent abandonner le charbon à court terme et pourraient permettre d'offrir un second souffle à l’industrie nucléaire dans un pays comme la France.

En faisant partie de cette nomenclature, la France pourra donc obtenir de meilleurs taux de financement et réduire ainsi de façon significative les coûts de ses futures centrales. Une décision que nombre d'associations écologistes dénoncent au motif que les centrales à gaz sont émettrices de CO2 et que le nucléaire, en raison de ses déchets radioactifs, génère un risque d’accident. Pour ceux qui s’opposent à cette décision, la principale conséquence de ce choix sera avant tout celle de ralentir le développement des énergies renouvelables sur tout le territoire européen. Certains pays, ONG et autres défenseurs de l’environnement estiment que cette décision ne constitue ni plus ni moins que du greenwashing.

"Faciliter le passage aux énergies renouvelables"

Sur le papier, la logique de la Commission européenne semble pourtant imparable. L'instance aspire, à titre transitoire, à favoriser l’investissement dans des moyens stables et pilotables, au motif que les énergies renouvelables ne pourront pas, à elles seules, répondre à la demande croissante d’électricité. L’acte délégué adopté le 2 février dernier met en exergue le fait que l’intégration du gaz et du nucléaire dans le système de labélisation à "un rôle à jouer pour faciliter le passage aux énergies renouvelables" et à la neutralité climatique. Raison pour laquelle la Commission a proposé d’octroyer ce label vert aux centrales nucléaires (jusqu'en 2045) et à la filière gazière (jusqu'en 2030).

L'exécutif européen argue, par ailleurs, que le texte oblige les entreprises à déclarer l’ensemble de leurs activités gazières et nucléaires. Ce qui permettra dans tous les cas aux investisseurs qui le souhaitent de les exclure de leur portefeuille. La Commissaire en charge des services financiers, de la stabilité financière et de l'union des marchés des capitaux, Mairead McGuiness, reste convaincue que la taxonomie de l’Union européenne aidera « à baliser la voie pour que l'investissement privé contribue aux objectifs climatiques » de l’Europe et qu’elle constitue, de ce fait, « un outil pour accroître la transparence des marchés financiers ».

Le monde de la finance sur la réserve

Pour certains États et défenseurs de l'environnement, la nouvelle a fait l'effet d'une bombe. Mais du côté des professionnels de la gestion d'actifs, l’élargissement du label vert appliqué au gaz et au nucléaire ne constitue en rien un évènement inopiné. La majorité des sociétés de gestion s’y attendait. Ce qui suscite des interrogations, c’est avant tout la polémique qui entoure des filières comme le gaz et le nucléaire. Les sociétés de gestion pourraient se montrer peu enclines à indiquer à leurs clients qu’ils investissent de façon responsable en tablant sur des secteurs comme le gaz et le nucléaire. Ce d'autant plus que les investisseurs, notamment les investisseurs institutionnels, pourraient, à leur tour, se montrer réticents vis-à-vis de ces filières, dans la mesure où ce type d'investissement pourrait desservir leur image de marque et mettre à mal leurs aspirations d'entreprises responsables ou à mission.

A cela s'ajoute la sempiternelle problématique des labels dont la promesse demeure quelque peu confuse. Le fait de donner du sens à son épargne en tablant sur le gaz et le nucléaire se révèle déjà difficile à concevoir pour les investisseurs, mais le prisme des labels verts vient en accentuer la nébuleuse. A titre d’exemple, des labels, à l'instar du label ISR français, se voient souvent reprochés le fait de ne pas directement encadrer le contenu des portefeuilles et donc les activités qu'ils financent.

Six critères au choix

Aussi, pour aider les entreprises et les investisseurs à y voir plus clair – et parvenir ainsi à atteindre son objectif de neutralité carbone - la Commission a pris la décision d'établir une liste de six critères qui permettent de définir une activité verte. Lesquels critères vont de l’atténuation du changement climatique et de l'adaptation au changement climatique, à l'utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines, en passant par la transition vers une économie circulaire, le contrôle de la pollution et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes. Afin d'être considérée comme durable, une activité doit donc au moins répondre à l'un de ces six objectifs.

Au final, les investisseurs qui aspirent à verdir leur portefeuille et à donner du sens à leurs placements ne doivent pas s'inscrire dans une stratégie court-termiste s'ils souhaitent miser sur des thèmes tels que le gaz et le nucléaire. Dans tous les cas, il est recommandé de se renseigner auprès de conseillers en gestion d'actifs et de patrimoine (CGP) agréés par l’AMF ou de conseillers financiers bancaires reconnus et agréés. Parce qu’à moins d'investir dans le gaz et le nucléaire par le biais du métavers, considérer que l’on agit en faveur de l’environnement en tablant sur ces filières apparaît, de prime abord, peu vertueux. Quoiqu’avec de nouveaux équipements dédiés à la réalité virtuelle, un futur métavers se révélerait une source supplémentaire de pollution. Au détriment, là encore, du monde réel.

Julie Cohen-Heurton
https://twitter.com/juliecohen84 Julie Cohen-Heurton Journaliste & cheffe d’édition BFM Patrimoine