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On leur avait vendu des faux manuscrits d'Einstein ou de Proust et promis 9% de rendement: le "plus grand procès d'escroquerie financière" s'ouvre pour 4.500 plaignants

Des manuscrits, des lettres historiques, des notes et des partitions musicales de la collection Aristophil, avant que celle-ci ne soit liquidée au cours d'une série de centaines de ventes aux enchères.

Des manuscrits, des lettres historiques, des notes et des partitions musicales de la collection Aristophil, avant que celle-ci ne soit liquidée au cours d'une série de centaines de ventes aux enchères. - Photo par PHILIPPE LOPEZ / AFP

Plus de 4.500 plaignants se sont constitués partie civile dans le gigantesque procès Aristophil qui s'ouvre à Paris ce lundi. L'entreprise leur promettait des rendements de 9% pour l'achat de manuscrits rares, avant de faire faillite.

Des milliers d'épargnants, séduits par la promesse de rendements élevés grâce à l'achat de manuscrits originaux d'Einstein, Proust ou encore Romain Gary, ont vu leur argent s'évaporer après la faillite de la société Aristophil. Son fondateur et sept personnes sont jugés à partir de lundi 8 septembre à Paris pour escroquerie, lors d'un procès qui doit durer environ un mois.

Policier, technicien, comptable ou conseillère en magasin: ils ont investi 10.000, 40.000 ou même 750.000 euros pour devenir propriétaire -en intégralité ou en indivision- de lettres et manuscrits anciens originaux avec l'annonce de taux de rendement annuel de 8% à 9%. Créée en 2003, Aristophil aurait fait perdre plus de 900 millions d'euros à des milliers de victimes présumées, dont plus de 4.500 se sont constituées parties civiles.

Une pyramide de Ponzi?

La société de placements en oeuvres d'art, qui détenait, entre autres, des oeuvres de Louis-Ferdinand Céline ou encore une lettre écrite à quatre mains par Vincent Van Gogh et Paul Gauguin, proposait de racheter les oeuvres au bout de cinq ans à un prix majoré.

La justice soupçonne en réalité une pyramide de Ponzi, une fraude financière qui repose sur le recrutement de nouveaux épargnants pour rémunérer les anciens. Une escroquerie rendue célèbre par l'affaire Madoff aux États-Unis.

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Après avoir fait naître une bulle spéculative, Aristophil a fait une faillite retentissante en 2016 qui a débouché sur un gigantesque processus de ventes aux enchères du fonds. Les lettres et manuscrits ont été vendus entre 2017 et 2022 à des coûts bien inférieurs au prix d'achat, Aristophil étant soupçonné d'avoir gonflé le prix des manuscrits sur un marché qualifié de niche par plusieurs experts.

Une lettre de Napoléon Bonaparte à Joséphine, valorisée à 1,2 million par Aristophil, s'est par exemple vendue aux enchères à 280.000 euros.

"Escroquerie en bande organisée"

Le prix d'achat des manuscrits lors de leur revente aux épargnants avait en moyenne augmenté de 147% et jusqu'à 317% pour la collection "Académie française", selon une enquête de la DGCCRF.

"C'est le vrai scandale Aristophil: j'achète un bien 100 qui en vaut en réalité 1 ou 2", détaille Me Arnaud Delomel.

Chargé de défendre 400 victimes dans le cadre d'une procédure collective pour l'Association de défense des consommateurs (ADC), l'avocat évoque ce dossier comme "le plus grand procès d'escroquerie financière jamais jugé en France".

À la tête d'Aristophil, Gérard Lhéritier, 77 ans, comparaît pour "escroquerie en bande organisée et pratique commerciale trompeuse". Son avocat Benoît Verger entend démontrer que "les produits (vendus) étaient légaux", ajoutant que Gérard Lhéritier, "fatigué mais combatif", n'avait "jamais rencontré un client". La société s'appuyait sur un réseau de 600 à 800 courtiers et employait 65 salariés.

Des placements présentés comme "sans risque"

Environ 18.000 personnes avaient investi dans la société. Au cours de l'instruction, l'un des épargnants explique avoir été "séduit par l'assurance d'une plus-value fantastique", d'autres racontent que leur conseiller en gestion de patrimoine leur avait présenté ces contrats de placements comme "l'eldorado", "sans risque". La somme investie représentait parfois "l'ensemble" de leurs économies.

Selon un avis rendu par la DGCCRF, "les biens manuscrits ne constituent pas un ensemble homogène" mais "le manuscrit est un objet unique, compliqué à estimer".

Et les clients d'Aristophil n'étaient pas des experts et avaient été "approchés par des professionnels des placements financiers et convaincus de pouvoir réaliser un profit".

Aristophil "ne précisait ni son mode de calcul ni les oeuvres retenues" et "le consommateur était dans l'incapacité de vérifier les éléments avancés". Il n'avait pas non plus "la capacité d'appréhender les risques que comporte (ce) marché".

Trois conseillers en gestion de patrimoine, un professeur de droit, qui conseillait Gérard Lhéritier, un libraire-antiquaire parisien, un notaire et un expert-comptable doivent également comparaître lors du procès qui doit se tenir du 8 septembre au 3 octobre.

CL avec AFP