"Catastrophe urbanistique": la rénovation urbaine peut-elle changer la vie des habitants de Grigny?

Grigny - dr
Symbole d'une "catastrophe urbanistique" cautionnée de son propre aveu par l'État, entre l'écrasante forêt de tours de Grigny 2 et une cité HLM fermée sur elle-même, Grigny (Essonne) se métamorphose peu à peu en ville grâce aux colossaux chantiers de rénovation urbaine.
Deuxième ville la plus pauvre de l'Hexagone avec 44% de taux de pauvreté, Grigny traîne une triple mauvaise réputation, entretenue par certains faits-divers, de cité dortoir pour ouvriers et personnes sans-papiers à la merci de marchands de sommeil et de réservoir de dealers ayant vu grandir Amedy Coulibaly, un des auteurs des attentats de 2015, radicalisé en prison.
A l'origine de cet urbanisme particulier: deux opérations immobilières XXL - La Grande Borne et Grigny 2 - imposées à la fin des années 1960 au nom de "l'intérêt public" à ce qui n'était encore qu'un village. Ces opérations ont par ailleurs été réalisées, selon l'inspection générale de l'administration, dans une légalité douteuse, y compris Grigny 2, pourtant plus grande copropriété de France.
"C'est un peu l'urbanisme du Far West et des coups immobiliers. Grigny a été faite sans centre-ville, sans emploi, et est passée de 3.000 à 26.000 habitants en cinq ans sans soutien financier de l'État pour créer des équipements publics, notamment des écoles", raconte à l'AFP son maire Philippe Rio (PCF).
La "descente aux enfers des copropriétés dégradées"
Le tout avec une paupérisation présente selon lui "dès le début à La Grande Borne", construite pour accueillir des familles du 13e arrondissement de Paris, quand Grigny 2 a elle connu la "descente aux enfers des copropriétés dégradées". La transformation de Grigny est d'abord passée par son désenclavement physique: créations de rues, arrivée d'une ligne de bus en site propre reliant La Grande Borne à la gare RER, puis arrivée du tramway fin 2023 pour relier les pôles économiques et universitaires d'Evry-Courcouronnes et Massy.
"Depuis quinze ans, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) est un accélérateur pour retisser la ville, réhabiliter du logement social mal fait, financer des équipements culturels", souligne l'élu.
Et les opérations vont encore s'accélérer. D'ici 15 ans, 1.300 logements sont à démolir, plus de 1.000 à reconstruire, et 4.800 à réhabiliter, en partenariat avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah).
Interrogée par l'AFP, l'Anru évoque un total de 357 millions d'euros de subventions, financées essentiellement par le groupe paritaire Action logement, quand l'ensemble des investissements publics et privés tournerait autour du milliard d'euros. "Grigny illustre bien les moyens que nous déployons, avec une coordination des interventions sur l'habitat, les espaces publics et les équipements pour transformer le cadre de vie dans toutes ses dimensions", souligne l'agence.
"Les urbanistes ne peuvent pas lutter contre le narcotrafic"
Selon Thierry Parisot, socio-urbaniste à l'agence Vasistas, l'impact premier de ces opérations est d'intervenir "de manière forte dans des quartiers où rien ne s'était passé". "Tout d'un coup, des élus, des habitants et toutes sortes d'experts urbains, spécialistes du commerce, de la sécurité, regardent le quartier et se disent 'Qu'est-ce qu'on fait pour que ça aille mieux?'", observe l'expert, qui relève pourtant deux limites. Notamment ce "mythe" selon lequel "une fois qu'on a dépensé 500 millions d'euros dans la réfection d'un quartier, on peut le laisser tranquille pendant 40 ans".
L'autre mythe consiste selon lui à croire que la rénovation urbaine peut "tout régler". "Les urbanistes ne peuvent pas lutter contre le narcotrafic et ce n'est pas parce qu'on a dépensé des centaines de millions à La Grande Borne qu'il n'y aura plus de délinquance ni de pauvreté", ironise-t-il.
Depuis 2022, la ville mène justement une expérimentation de "stratégie de peuplement" dans le cadre de l'Anru 2: un couple gagnant le Smic sera ainsi éligible au logement social, alors qu'il était jusqu'à présent considéré comme "trop riche". "L'histoire des quartiers populaires a été de voir les gens un peu moins pauvres qui en partaient remplacés automatiquement par des plus pauvres qu'eux", rappelle Philippe Rio, qui souhaite "inverser la spirale".
Loin d'être un ghetto, Grigny est une ville de flux, en particulier Grigny 2, dont le tiers de la population change tous les trois ans, comme le montre le sociologue Fabien Truong, co-auteur de l'enquête "Grands ensemble", parue en janvier.
"En dix ans, les transformations urbaines sont spectaculaires mais les gens ne le voient pas parce que ceux qui arrivent sont dans une situation sociale pire, et ceux qui restent ont du ressentiment", commente ce spécialiste des quartiers populaires, pour qui des "villes délinquantes" ne respectent pas la loi sur la mixité sociale, quand d'autres "n'ont d'autre choix que d'accueillir la misère humaine".