Prostitution: que pourrait changer la réforme de la loi?

La proposition de loi socialiste sur la prostitution ne fait pas l'unanimité chez les travailleurs du sexe. - -
La prostitution est toujours dans la ligne de mire du gouvernement. Un rapport d'information parlementaire rendu public mardi prélude à une prochaine proposition de loi, préconise de sanctionner le recours à la prostitution et d'abroger dans le même temps le délit de racolage public à l'encontre des prostituées.
Dans ce rapport, adopté mardi par la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, la député PS Maud Olivier entend notamment "rendre notre territoire dissuasif pour les réseaux de proxénétisme et de traite" et "dissuader le client de pérenniser les situations de violence que son comportement crée et entretient".
Mais son contenu est loin de faire l'unanimité chez les travailleurs du sexe, qui ont manifesté mardi à 16h30 devant l'Assemblée contre la pénalisation des prostituées et de leurs clients, à l'appel du STRASS (Syndicat du travail sexuel). BFMTV.com fait le point sur la loi française et sur le nouveau texte.
> La situation actuelle
La loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure punissait de deux mois d'emprisonnement et de 3.750 euros d'amende, le racolage, c'est à dire "le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles, en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération". Cette loi a été abrogée par le Sénat, sous l'impulsion de la sénatrice EELV Esther Benbassa, en mars 2013.
Mais le délit de racolage n'est pas totalement supprimé, puisqu'il n'a pas été aboli par les députés. "La répression s'est calmée, après avoir été très forte, les trois-quatres premières années après 2003, précise la sociologue Françoise Gil* à BFMTV.com. Mais aujourd'hui, la situation est très floue, très ambigüe et très hypocrite".
> Que contient la proposition de loi?
Dès juin 2012, Najat Vallaud-Belkacem avait affiché sa volonté de vouloir éradiquer la prostitution. La ministre du Droit des femmes a annoncé fin mars 2013 qu'une proposition de loi sur la prostitution et la traite des êtres humains devrait voir le jour "d'ici l'automne". C'était là un des engagements de campagne de François Hollande.
Le rapport présenté mardi par Maud Olivier, qui fait au total 40 recommandations, "se traduira par le dépôt d'une proposition de loi", précise la député.
Il prévoit de nouvelles mesures de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains. Serait notamment sanctionné "le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations de nature sexuelles d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération", mais également en échange de l'utilisation, de l'acquisition ou de la promesse d'un logement, une "rémunération" souvent constatée par les associations d'aide aux prostituées.
Maud Olivier propose également la création d'une peine complémentaire, "un stage de sensibilisation aux conditions d'exercice de la prostitution", sur le modèle des stage de sensibilisation à la sécurité routière.
> Pourquoi ce texte est-il critiqué?
Selon Françoise Gil, la proposition de loi fait l'amalgame entre toutes les formes de prostitution et ne s'attaque pas suffisamment au proxénétisme. Et précise: "si on veut lutter contre la prostitution, il n'y a qu'une chose qui est condamnable, c'est le proxénétisme, la contrainte exercée par des mafieux ou par qui que ce soit. Tant qu'on fait l'amalgame sur les gens contraints et les gens libres, on n'en sortira pas".
Par ailleurs, pénaliser les clients est selon la sociologue, "une ingérence très grave dans la vie des gens". "On pourrait éventuellement envisager de s'intéresser aux clients de prostituées de réseaux, mais dans le but comme on le fait en Allemagne de repérer des situations de contrainte et de pouvoir agir. Là c'est une mesure globale et sans nuance qui risque d'être mise en place", regrette-t-elle.
Sur le terrain les conséquences risquent également d'être "catastrophiques pour les femmes". Le texte prévoit en effet un plan de réinsertion pour les prostituées. Mais compte-tenu de la situation économique en France et du niveau de chômage, "est-ce qu'on va trouver des emplois pour toutes ces personnes, et quels emplois, quelles formations?" s'interroge Françoise Gil.
Cela risque également d'encombrer les tribunaux. Surtout, cela n'empêchera les réseaux de continuer à agir. "Aujourd'hui à Paris, les proxénètes et les mafieux achètent des appartements ou les louent et gardent les filles à l'intérieur, ça, ça va fleurir. Les femmes libres ont, elles, peur d'être rackettées par les proxénètes." Un phénomène déjà observé après la loi sur la sécurité intérieure. "Il y a eu recrudescence d'actes délictueux de la part d'hommes qui voulaient profiter de la situation", rapporte Françoise Gil.
Enfin, selon Diana, porte-parole du Strass (Syndicat du travail sexuel), cela va modifier la façon de travailler des prostituées, qui seront "obligées de se cacher". "Cette loi va mettre en danger la vie des prostituées", conclut-elle.
*Françoise Gil est l'auteur de Prostitution: fantasmes et réalité, paru en 2012, aux éditions ESF.