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La Nasa a dépensé des millions de dollars pour son "stylo spatial": pourquoi c'est faux

Les deux cosmonautes russes Anatoly Solovyov et Pavel Vinogradov Solovyov jouent avec un stylo (au centre) à l'intérieur de la station Mir, en 1998.

Les deux cosmonautes russes Anatoly Solovyov et Pavel Vinogradov Solovyov jouent avec un stylo (au centre) à l'intérieur de la station Mir, en 1998. - WTN PICTURES / AFP

POURQUOI C'EST FAUX 2/5 - L'agence spatiale américaine est depuis des décennies accusée d'avoir financé le développement du "Space Pen", un stylo bille "anti-gravité" aussi coûteux qu'inutile, là où un crayon à papier aurait suffi. Entièrement faux.

Tout le monde connaît l'image. A gauche, un stylo spécialement mis au point par la Nasa pour écrire en apesanteur dans l'espace et à droite, un crayon à papier avec la mention: "Voilà comment les Russes ont résolu le problème." Même l'excellent vulgarisateur Neil deGrasse Tyson, qui se dit héritier de l'indépassable Carl Sagan et a repris la mythique émission de télévision Cosmos, avait rapporté l'anecdote dans un recueil intitulé Space Chronicles: facing the ultimate frontier (en français, Chroniques spatiales: face à l'ultime frontière). Fascinant. Et puis il est tellement tentant de s'en prendre à la bureaucratie, de dénoncer les gâchis.

Sauf que cette histoire est doublement fausse. Premièrement, l'agence spatiale américaine n'a jamais passé une telle commande à qui que ce soit. Si le "Space Pen" a bel et bien été conçu par la société Fisher, c'est en toute indépendance. L'AG-7, premier stylo "anti-gravité" à mine rétractable, a été mis sur le marché en 1965. Rapidement suivi par le "Bullet Pen", plus court et dont un exemplaire est conservé au musée d'art moderne de New York.

Deuxièmement, les chiffres les plus fantaisistes circulent quant au coût de recherche et développement. Selon certains, le Space Pen aurait coûté plusieurs millions de dollars, voire 100 millions ou 1 milliard dans d'autres versions de l'histoire. En vérité, le développement du Space Pen a effectivement coûté un somme avoisinant le million de dollars, mais la note n'a pas été réglée par la Nasa. 

Des crayons vendus à prix d'or

En réalité, les Américains comme les Russes ont bien utilisé ces stylos qui écrivent en apesanteur et dans des conditions de température et d'humidité extrêmes. Pourquoi pas les fameux crayons à papier? Ils l'ont fait. Du moins au début. La légende d'une Nasa dispendieuse vient d'ailleurs de là. Une archive exhumée par la revue Scientific American rapporte qu'en 1965, l'agence avait commandé 34 critériums à Tycam Engineering Manufacturing Inc. pour un coût total de 4.382,50 dollars, soit 128,89 dollars l'unité. Le tollé fut à la hauteur de ce tarif exhorbitant lorsqu'il a été éventé, forçant la Nasa à rétropédaler.

Mais la vraie raison du retour dans la trousse des critériums est qu'en l'absence de pesanteur, des morceaux de mines étaient susceptibles de s'égarer partout dans l'habitacle du vaisseau ou de la capsule. Comme le graphite qui les compose est un excellent conducteur, ces miettes auraient pu s'infiltrer dans des circuits électriques et provoquer des incidents.

Ecriture spatiale: le défi

En réalité, écrire dans l'espace ne va pas de soi. D'abord, la pression n'est pas la même que sur Terre, ce qui entraîne des écarts de température extrêmes. C'est pourquoi le Space Pen breveté en 1965 est capable d'écrire la tête en bas, sous l'eau, ou par des températures allant de -45° à 2.204° Celsius. Le secret réside dans la composition de l'encre et dans la recharge, pressurisée avec de l'azote. L'écoulement de l'encre n'a donc pas besoin de la gravité pour s'opérer.

Ensuite, d'autres paramètres qui concernent tous les équipements emportés dans l'espace sont à prendre en compte. Le premier est l'impératif de non-contamination, le deuxième est une exigence de contrôle de la qualité draconnienne. La catastrophe de la simulation en conditions réelles d'Apollo 1, quand trois astronautes sont morts dans un incendie, a été cruciale. En février 1968, la Nasa avait passé commande de 400 stylos Fisher. Un an après, l'Union soviétique en achetait 100 avec leurs 1.000 cartouches d'encre.