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Police-Justice

Les salariés "lanceurs d'alerte" sont encore mal protégés

Le Conseil de Prud'hommes à Toulouse (illustration)

Le Conseil de Prud'hommes à Toulouse (illustration) - Eric Cabanis - AFP

Le risque de perdre son emploi, voire de mettre en péril ceux de ses collègues, empêche souvent les salariés de dénoncer des situations graves en entreprise.

Oui, dénoncer des faits graves au travail reste un acte de bravoure. Les salariés sont les plus "réprimés des lanceurs d'alerte", même si la loi les protège dans certaines situations, a mis en garde Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé, dans un récent colloque.

"Les plus méconnus et les plus réprimés sont les lanceurs d'alerte ouvriers sur les questions de santé au travail", affirme la sociologue de la santé.

"Courageux", "des travailleurs prennent des mandats" de représentant du personnel, souvent au sein du CHSCT (Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail) "et brisent l'omerta". Ils sont "les sentinelles de la santé publique car les polluants qu'ils sont les premiers à respirer finissent dans nos assiettes et dans l'air", a expliqué la spécialiste des cancers d'origine professionnelle. Elle cite le long combat mené par le CHSCT de l'usine Adisseo, spécialiste de la nutrition animale, à Commentry, dans l'Allier: la vitamine A qui "dope les poulets et donne des cancers du rein aux ouvriers" y reste produite depuis le début des années 80, malgré la condamnation en 2007 de l'entreprise pour faute inexcusable. 

Mutation, retrait de salaire, licenciement...

Souvent, les salariés, même protégés par des mandats, paient cher. Philippe Billard, longtemps employé à la maintenance de la centrale nucléaire de Paluel en Seine-Maritime, parle même "d'acharnement". Son tort? Avoir levé le voile à plusieurs reprises sur "les conditions de travail et la sous-traitance des risques ionisants", explique-t-il à l'AFP. Ce technicien CGT avait lancé début 2006 avec le CHSCT un droit d'alerte "après une rupture de la gaine du combustible" et s'était élevé contre l'apparition de légionelle dans des locaux.

En mai 2006, il "refuse une mutation forcée". Retrait de salaire, procédure de licenciement... jusqu'en janvier 2009, il est maintenu "en disponibilité, à la maison avec 700 euros de prime en moins". Aux Prud'hommes, il "gagne le droit de retravailler". Depuis 2009, Endel (filiale de GDF Suez) l'a "mis au placard" dans une agence de mécanique industrielle et pétrochimique, où il a de nouveau bataillé en 2014 pour garder son poste, raconte-t-il. Ce délégué du personnel ne regrette rien: "Je ne peux pas supporter que la santé d'un collègue soit sacrifiée". Il déplore en revanche le peu de soutien "à l'intérieur, des syndicats centraux d'EDF, qui nous disaient de la fermer pour protéger l'usine, les emplois".

Les législations britannique et américaine protègent mieux

Pour protéger les lanceurs d'alerte, le Parlement, poussé par le scandale du Mediator et l'affaire Cahuzac, a voté quatre lois en deux ans. Les deux dernières, en 2013, ont marqué "des progrès considérables", observe Nicole Marie Meyer, de Transparency International, une organisation non gouvernementale de lutte contre la corruption. La loi d'avril 2013, à l'initiative des bancs verts, a gravé dans le marbre le droit "de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information (...) dès lors que (sa) méconnaissance (...) lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l'environnement". Malgré cette loi, et l'extension en décembre 2013 des cas d'alerte à la fraude fiscale, la législation "reste lacunaire, sectorielle" et parfois "contradictoire", déplore Nicole Marie Meyer. Très en-deçà des législations américaine et britannique, qui prévoient des sanctions pénales pour les auteurs de représailles. 

Comme l'ONG, Annie Jouan, de l'association SOS Fonctionnaire Victime, demande une loi "globale", qui couvre aussi la dénonciation d'atteintes "aux libertés publiques". 

A.D. avec AFP