BFMTV
Société

Courir avec les hommes ou avec les femmes? L'intersexualité, le casse-tête des instances sportives

Caster Semenya en avril 2018.

Caster Semenya en avril 2018. - SAEED KHAN / AFP

La fédération internationale d’athlétisme a dévoilé jeudi les nouvelles règles permettant à certaines athlètes intersexes de prendre part aux épreuves féminines.

DSD. Depuis plusieurs années, ces trois lettres sont synonymes de gros mal de crâne pour l’IAAF, la fédération internationale d’athlétisme. Derrière cet acronyme se cache en effet autant un problème légal que moral et scientifique. Les athlètes DSD – pour "differences of sexual developpement" - bénéficient en effet naturellement d’un apport en testostérone supérieur à la moyenne de leur concurrentes et mettraient en péril "l’équité" des compétitions féminines, selon l’IAAF. 

Son nouveau règlement publié jeudi, impose désormais un taux maximum de testostérone de 5nmol/L de sang à toute athlète souhaitant participer à des compétitions internationales féminines sur les épreuves allant du 400m au mile (1609m). Selon la fédération internationale, ce taux serait compris entre 0,12 et 1,79 nmol/L de sang chez les femmes non-DSD. Les DSD seraient d'ailleurs surreprésentées dans le sport de haut niveau, avec 7,1 cas pour 1000 athlètes, "soit 14 fois plus que dans la population féminine dans son ensemble", assure la fédération internationale d'athlétisme, . 

Attention, ça ne veut pas dire qu'il y a plus de tricheuses dès qu'on arrive dans l'élite mondiale. 

"Non, comme c’est génétique, pas exogène, ce n’est pas du dopage, explique Carole Maître, médecin du sport et gynécologue à l'Insep. Mais ça sélectionne forcément: quand on est junior et qu’on a de telles performances, on se retrouve plus facilement au haut niveau. Ce n’est pas seulement parce qu’elles l’ont décidé, c’est aussi parce qu’on les a choisies grâce à ces performances sans forcément savoir que c’était lié à ça".

Pour elle, la décision de l'IAAF est tout de même "courageuse", dans un "sujet très complexe". "Les études ont montré un gain de performance pour les personnes atteintes de DSD, donc il y avait une perte de l'égalité, une perturbation de l’analyse des résultats, reprend Carole Maître. Ces cas concernent peu de gens, mais des gens médiatisés par leurs résultats et leurs médailles".

"Nous avons la responsabilité d’assurer un niveau de jeu égal aux athlètes"

La nouvelle norme ne sort en effet pas de nulle part, loin de là. En 2009, le titre mondial sur 800m de la Sud-Africaine Caster Semenya, avec un temps canon et une apparence masculine qui avait beaucoup fait parler, avait conduit l’IAAF a adopté un règlement deux ans plus tard qui fixait le fameux taux à 10nmol/L. Ce règlement avait fini par être retoqué par le Tribunal international du sport (TAS) en 2015 après le recours d’une athlète atteinte d’hyperandrogénie, la sprinteuse indienne Dutee Chand. Depuis, l’IAAF a fait travailler ses scientifiques pour tenter de définir une nouvelle norme, sensée être plus acceptable par tous.

La dernière version des règles d’admission de l’IAAF, basée sur de longs travaux scientifiques, devait donc lever les dernières ambiguïtés. "Nous avons la responsabilité d’assurer un niveau de jeu égal aux athlètes, indique le président de l’IAAF, Sebastian Coe. Comme beaucoup d’autres sports, nous avons choisis deux catégories pour nos compétitions: les compétitions pour les hommes et les compétitions pour les femmes. Cela veut dire que nous devons être clair sur les critères pour ces deux catégories". Pour le patron de l’athlétisme mondial, le succès dans le sport doit rester "déterminé par le talent, le dévouement et le fait de travailler dur plus que sur d’autres facteurs qui y contribuent".

"A nouveau, il est question de réguler un avantage naturel"

Si Caster Semenya, devenue l’emblème des athlètes DSD, a bien un taux de testostérone supérieur à 5nmol/L de sang, elle a désormais six mois pour se mettre en conformité, d’ici l’entrée en vigueur des nouvelles règles. Soit grâce à un traitement hormonal, soit en ne courant qu’au niveau national, soit en s’alignant chez les hommes.

"A nouveau, il est question de réguler un avantage naturel, regrette Anaïs Bohuon, maître de conférences HDR à l’UFR-Staps de Paris-Sud et auteure du Test de féminité dans les compétitions sportives, une histoire classée X. Il y a des sportifs, depuis des années, qui ont des performances presque surhumaines, qui n’ont jamais été dérangé. Pourquoi ne pas réguler en son temps les capacités physiques d’un Usain Bolt? D'un Michael Phelps? Il doit pourtant y avoir plus d’un de leurs concurrents qui a été découragé au moment de s’aligner face à eux".

Dans ce dossier, l’IAAF marche sur des œufs et a bien pris soin de préciser que ses nouvelles règles n’avaient "en aucune façon été conçus comme une sorte de jugement ou de remise en question du sexe ou de l'identité de genre d'un athlète". Déterminer dans quelle catégorie doit courir un athlète a en effet toujours été un sujet extrêmement sensible. "Au départ, on faisait des contrôles gynécologiques pour déterminer ce qu’était une femme. On s’est rendu compte que c’était trop humiliant, donc on est passé sur des tests chromosomiques, en partant du principe qu’une femme devait être XX. Hors on s’est aperçu qu’il y avait des femmes avec des différences chromosomiques. Depuis 2000, on est donc sur les dosages des taux hormonaux", raconte Anaïs Bohuon.

"Le seul problème de Caster Semenya c’est d’être une femme qui sort des critères normatifs de la féminité"

Selon la chercheuse, le problème n’est pas qu’une athlète DSD comme Caster Semenya puisse à termes concurrencer les hommes. Son record personnel sur 800m (1min55sec16) la place d’ailleurs à des années-lumière de celui du spécialiste français de la discipline, Pierre-Ambroise Bosse (1min42sec43).

"Les femmes progressent mais ne sont pas en train de rattraper les hommes. Le seul problème de Caster Semenya c’est d’être une femme qui sort des critères normatifs de la féminité qu’on a l’habitude de voir. Si elle était plus féminine dans ce qu’on attend - blonde, aux yeux bleus, très élancée avec un semblant de poitrine et un visage très fin - est-ce que ça poserait un problème?", fait mine de se demander Anaïs Bohuon.

Des problèmes, la nouvelle réglementation de l'IAAF pourrait en rencontrer une nouvelle fois devant le TAS, si une athlète se décidait à la contester encore une fois.

Antoine Maes