Manuel Valls: comment peut-il réussir son discours de politique générale?

Manuel Valls, le 10 juillet 2014. - Kenzo Tribouillard - AFP
Journée cruciale pour Manuel Valls. Pour la deuxième fois en cinq mois, le Premier ministre prononcera ce mardi à 15 heures devant l’Assemblée nationale son discours de politique générale, qui fixera le cap de son gouvernement après le remaniement, avant de solliciter à 18h30 un vote de confiance des députés.
Mardi "je prononcerai un discours sur le sens, la perspective, l'agenda et les valeurs du moment que nous traversons" et "rappellerai ce qui nous différencie de la politique de la droite", a fait savoir Manuel Valls dimanche dans une interview au JDD, alors que les députés frondeurs promettent de s’abstenir “collectivement” lors du vote de confiance. Dans ce contexte comment peut-il réussir l’exercice? BFMTV.com donne quelques conseils à Manuel Valls vec Yann Galut, député PS du Cher, Stéphane Rozès, président de CAP et professeur de sciences politiques à Sciences Po et HEC, Jean Garrigues, professeur d'histoire contemporaine à l'Université d'Orléans, et Arnaud Mercier, professeur de communication politique à l’université de Lorraine.
Le conseil du député
Critique envers la ligne sociale-libérale du gouvernement sans pour autant faire partie des frondeurs, le député PS du Cher Yann Galut estime que Manuel Valls doit donner des gages à sa majorité pour réussir sa déclaration de politique générale. “Nous voulons des marqueurs de gauche. Il faut que Manuel Valls tienne compte de nos conseils à nous, parlementaires, sur des sujets comme les seuils sociaux, ou encore la revalorisation des retraites. Je ne prône pas une réorientation de la politique du gouvernement, mais un rééquilibrage”, explique-t-il à BFMTV.com.
Sur la forme, l’élu ne pense pas que Manuel Valls doive se montrer plus ferme pour décourager les députés frondeurs du PS. “Faire preuve d’autorité n’est pas la solution. La solution, c’est le dialogue. Il faut qu’on soit dans l’écoute réciproque – et cela vaut aussi pour les frondeurs. Tout le monde a intérêt à ce que le gouvernement réussisse”, explique-t-il, assurant que “Manuel Valls aura la confiance”.
Le conseil du politologue
Pour le politologue Stéphane Rozès, “le risque c’est que le discours de politique générale de Manuel Valls soit dans la même veine que le précédent, mais en plus dramatisé, en appelant aux efforts supplémentaires”. Selon le chercheur, rien ne sert de demander plus de sacrifices s’il manque une vision d’avenir pour le pays. “Le problème c’est que la responsabilité et le courage ne sont pas pour les Français des finalités, ce sont des moyens au service d’un dessein. Or, pour l’instant, ce qui manque c’est ça”, décrypte Stéphane Rozès. “La crise de confiance ne vient pas de l’absence de résultats mais de l’absence de vision d’avenir. C’est ce qui explique que les chefs d’entreprise n’investissent pas, et que les citoyens ne consentent pas à la réforme”, martèle-t-il. Stéphane Rozès relève ici un problème de calendrier: “mon premier conseil aurait été que la conférence de presse de François Hollande (prévue jeudi, ndlr) ait lieu avant le discours de politique générale, car c’est au président de la République de dire où il souhaite amener la France”.
Le politologue conseille par ailleurs à Manuel Valls de s’adresser “aux Français”, et “surtout pas aux frondeurs”. D’une part parce que “la représentation politique, comme son nom l’indique, c’est la représentation des Français”. Ensuite, parce que “les interpellations des frondeurs sont à côté du sujet de l’électorat de gauche”. “Le sujet pour l’électorat de gauche, c’est de s’assurer que les réformes menées sont justes, efficaces, et qu’elles vont pérenniser le modèle social”.
Le conseil de l'historien
- “Oui, on peut rater sa déclaration de politique générale”, note, pour sa part, l’historien Jean Garrigues. Et de citer Edith Cresson, en 1991, et son discours “trop long”, “trop cassant”, Alain Juppé, en 1995, sur un ton lui aussi “cassant”, "sans élément de souffle”, ou encore Jean-Marc Ayrault, en 2012, péchant par sa “monotonie”, son “manque de charisme”, et “reflétant les hésitations de François Hollande”... D’autres ne resteront pas dans les annales, comme celui “sans surprise” de Jacques Chirac en 1986. Selon lui, les Premiers ministres doivent donc avant tout donner “un souffle”. Mais également éviter de se montrer trop précis. En 1988, Rocard, qui avait pourtant prononcé un discours “très applaudi”, a été “beaucoup moqué par certains” en évoquant les "boîtes aux lettres cassées" et "ascenseurs en panne", semblant ainsi “manquer de hauteur”.
Un discours de politique générale a particulièrement “fait date”, rappelle-t-il: celui de Jacques Chaban-Delmas en 1969, lançant la formule de “nouvelle société”. “C’était sans doute le plus intéressant, il apportait le souffle d’un nouveau projet de société”, raconte Jean Guarrigues. Pourtant, il s’est retourné contre le Premier ministre: “le discours a été très mal reçu par le président de la République, comme une sorte d’empiètement de la prérogative présidentielle”. “Mais en général, surtout sous la Ve République, l’exercice ne suscite pas l’enthousiasme”, commente l'historien.
Le conseil du spécialiste de la communication
“Un discours de politique générale, ça doit fixer un cap”, explique le professeur en communication politique Arnaud Mercier. “On a tout à fait le droit de ne pas aimer le cap ou la méthode”, mais le discours sera réussi si “les auditeurs sortent en se disant: ‘c’est clair, on ne navigue pas à vue”, remarque-t-il. Or, “le reproche constant qui est fait à Hollande c’est de ne pas être clair sur le cap”, souligne-t-il. Manuel Valls devra donc “atténuer le sentiment de flottement, d’incertitude”, ce qu’il avait fait dès son arrivée à Matignon en fixant “une ligne de conduite, une marque de fabrique personnelle”.
Ensuite, selon lui, Manuel Valls devra “éviter deux écueils” lors de ce deuxième discours de politique générale, “seulement cinq mois après le premier”. La première erreur serait de “répéter, marteler la même chose, au risque de lasser”. La deuxième, “faire quelque chose de très différent”, et de laisser croire “qu’il se renie, ne dit plus la même chose”. “Il va falloir qu’il trouve l’équilibre”, juge Arnaud Mercier. Enfin, le Premier ministre pourra toujours mobiliser “quelques ficelles”: “des mots-clés qui correspondent aux sensibilités de votre camps, ou mobiliser un Jaurès, c’est relativement consensuel…”. “Mais ça ne sera pas aisé", prévient Arnaud Mercier, "les ficelles, il les a déjà utilisées”.