Pourquoi la réforme de la justice provoque la grogne des robes noires

Edouard Philippe et Nicole Belloubet rencontrant des magistrats le 9 mars 2018. - FRANCOIS NASCIMBENI / AFP
C'est l'un des dossiers brûlants du moment pour l'exécutif: la réforme de la justice, contestée par un grand nombre d'avocats et de magistrats, a été présentée ce vendredi en Conseil des ministres par Nicole Belloubet. Les professionnels reprochent au projet très vaste de la ministre de la Justice d'affaiblir les droits de la défense et de limiter l'accès au juge. Depuis le mois de février, la mobilisation ne faiblit pas, émaillée de "journées mortes dans la justice", de grèves et de manifestations nationales, notamment à Paris le 11 avril dernier.
La garde des Sceaux et le Premier ministre Edouard Philippe ont ouvert en octobre cinq grands chantiers: la simplification des procédures pénale et civile, l'organisation territoriale, la numérisation, le sens et l'efficacité des peines. Le champ de la réforme est très large, mais certaines de ses dispositions concentrent en particulier la colère des avocats et magistrats.
La fusion des tribunaux d'instance avec les TGI
C'est le point le plus contesté: la fusion des tribunaux d'instance avec les tribunaux de grande instance (TGI), dans le cadre de la réorganisation de la carte judiciaire. Les tribunaux d'instance sont des lieux de justice de proximité, où sont jugées les affaires civiles - comme le surendettement, les loyers impayés et les tutelles - pour lesquelles la demande porte sur des sommes inférieures à 10.000 euros.
Elle aboutira, selon l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) et le Syndicat de la magistrature (SM), à la suppression des tribunaux d'instance et de la fonction du juge d'instance. Plus de 250 juges d'instance ont adressé une lettre le 30 mars à la ministre de la Justice pour exprimer leur inquiétude.
La numérisation
Pour simplifier et moderniser les procédures, la réforme accorde une large place à la numérisation, notamment en cas de petits litiges, de la compétence jusqu'ici des juges d'instance.
Avec ce projet, il s'agirait pour le justiciable de pouvoir déposer certaines plaintes en ligne, de saisir une juridiction, en se passant de la spécialité du juge d'instance et, pour les magistrats, d'avoir recours à la visioconférence, pour statuer sans audience pour de petits litiges civils.
- La création des tribunaux criminels
Pour alléger les cours d'assises, le gouvernement propose de mettre en place des tribunaux criminels départementaux, chargés de juger les crimes passibles de 15 à 20 ans de prison, comme par exemple les viols. Actuellement, seule la cour d'assises, avec ses jurés citoyens tirés au sort et son magistrat, est habilitée à les juger. Cela serait pour l'exécutif un moyen de lutter notamment contre la correctionnalisation des viols, parfois qualifiés de délits pour être jugés plus rapidement, sans passer par la cour d'assises.
Les avocats redoutent que les crimes soient "coupés en deux", classés entre "petits crimes" et ceux passibles de la cour d'assises. Ils craignent également une perte d'importance des jurés dans les procédures, puisque ces tribunaux criminels ne seront composés que de magistrats.