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Japon: "Une éruption du mont Fuji aurait des conséquences dramatiques"

Au pied du mont Fuji, le 8 mai 2014.

Au pied du mont Fuji, le 8 mai 2014. - -

Après le puissant tremblement de terre de mars 2011, les entrailles du mont Fuji ont été fortement perturbées, révèle une étude franco-japonaise. Faut-il s'inquiéter d'une nouvelle catastrophe à venir au Japon?

Selon une étude franco-japonaise publiée le 4 juillet dans la revue Science, le mont Fuji, emblème national au Japon, aurait été impacté en profondeur par le grand séisme du 11 mars 2011, qui avait provoqué la catastrophe nucléaire de Fukushima. Les recherches menées sur place, basées sur l'étude de mesures prises par des capteurs sismiques, montrent que les entrailles du célèbre volcan ont été mises sous pression par la violente secousse. Le mont Fuji menace-t-il d'entrer en éruption? BFMTV.com a posé la question à Florent Brenguier, sismologue et co-auteur de l'étude.

Vous parlez d'un "état critique" du mont Fuji. Qu'est-ce que cela signifie?

Il faut bien préciser que ce n'est pas un état critique d'éruption, il ne s'agit pas de dire que le mont Fuji entrera prochainement en éruption. C'est un peu plus compliqué. Ce que l'on a observé en menant cette étude, c'est l'effet de l'onde de choc produite par le séisme de mars 2011 sur la croûte terrestre située sous le Japon. On a pu voir que les perturbations associées à cette onde ont eu un impact assez marqué sous certains volcans du Japon, en particulier dans la région du mont Fuji et du mont Hakone. Et ce malgré le fait qu'ils se trouvent à 500 kilomètres de l'épicentre du séisme.

En quoi consistent ces perturbations?

Les recherches ont permis de constater que la croûte terrestre située sous le mont Fuji, entre le réservoir magmatique et le mont lui-même, est sous pression à cause des ondes sismiques. Or, c'est un milieu déjà pressurisé, du fait de l'énergie phénoménale produite par le réservoir de magma. Autrement dit, l'impact du séisme est venu ajouter de la pression sur des fluides volcaniques déjà perturbés.

Comment les avez-vous mesurées?

En utilisant le "bruit de son sismique", relevé par 800 capteurs installés sur le territoire japonais pendant les six mois qui ont précédé le séisme de mars 2011 et les six mois qui l'ont suivi. Il s'agit des ondes sismiques qui se propagent en permanence à l'intérieur de la Terre, c'est-à-dire les vibrations permanentes émises par l'interaction entre l'océan et la terre solide. L'enveloppe liquide, l'océan, vibre sous l'effet des vents, de la houle, des pressions atmosphériques, et génère des vibrations.

A l'aide de sismomètres, on mesure le temps qu’elles mettent à parcourir la distance entre deux capteurs. Si l’on connaît la distance parcourue, ce temps donne accès à la vitesse de propagation des ondes, et permet de mesurer l'évolution de cette vitesse dans le temps. Cette technique constitue une vraie nouveauté car on est désormais capable de faire une échographie continue de l'intérieur de la Terre, ce qui était impossible auparavant.

A la vue des résultats de l'étude, est-il possible dire que les séismes entraînent des éruptions volcaniques?

La dernière éruption du mont Fuji remonte à 1707 et a été précédée d'un grand séisme. Il peut s'agir d'un pur hasard, mais nos études ont tendance à montrer que c’est bien le séisme qui a déclenché l’éruption. Ceci s'explique par un phénomène physique: quand il y a un endommagement lié à une onde sismique de forte amplitude, il y a fracturation de la croûte terrestre au-dessus du magma.

A l'heure actuelle, y a-t-il des signes d'activité inquiétants à l'intérieur du mont Fuji?

Il n’y a pas, pour l’instant, de signe d’éruption proche. Mais il faut savoir qu'il est très compliqué de prédire les éruptions à l'avance. En général, on parvient à prédire le phénomène au moment où le magma est en train de se propager vers la surface, soit quelques jours voire quelques heures avant l’éruption. Tout peut aller très vite: le magma peut, d’un coup, sans que l’on sâche pourquoi, trouver le chemin vers la surface.

Donc le Fuji pourrait tout à fait être en activité depuis le séisme de 2011 et n'entrer en éruption que dans quelques années...

Impossible de dire si une éruption va se déclencher, et à quel moment. En revanche, on a observé que, quelques jours après le grand séisme, il y a eu un tremblement de terre de magnitude 6,4, juste sous le mont Fuji, suivi d'une période de sismicité dans cette zone, ce qui prouve qu’il y a eu une perturbation très forte. Les Japonais m’ont dit très clairement qu’ils ont vraiment cru, à ce moment là, que le volcan allait entrer en éruption. Ils avaient d'ailleurs déclenché leur système d’alerte maximale sur le mont Fuji, et préparé des exercices d’évacuation.

Toutefois, selon nos observations, on aurait plutôt tendance à dire que cet effet s’attenue avec le temps, et que si l'éruption ne se produit pas relativement rapidement après le séisme, elle n'aura pas lieu. Mais il faut rester prudent car, encore une fois, on ne sait pas ce qui peut se passer d'un moment à l'autre.

Un nouveau séisme au Japon, où la terre tremble souvent, pourrait donc avoir des répercussions directes sur le mont Fuji?

Oui, surtout que les Japonais attendent un énorme séisme au sud de Tokyo, dont l'épicentre serait très proche du volcan. Les spécialistes locaux le savent et mettent tous leurs moyens pour essayer de prédire les moindres signes précurseurs. Si ce deuxième très gros séisme se produisait, sachant que le lieu a déjà été perturbé par celui de mars 2011, la probabilité d’éruption serait très fortement augmentée.

Quelles seraient les conséquences d'une éruption?

En cas d'éruption du Fuji, Tokyo serait au premier plan. En effet, certaines banlieues de la capitale ne sont situées qu'à une cinquantaine de kilomètres du volcan. Selon la direction des vents, les conséquences sur la ville pourraient être dramatiques: dépôt de cendres, blocage complet de l’activité économique, maladies respiratoires. Il est impossible d’évacuer les 37 millions d'habitants de l'agglomération, mais les Japonais sont malgré tout au courant des consignes en cas d’éruption et prennent la menace très au sérieux.

Propos recueillis par Adrienne Sigel