La BD de la semaine: Florence Cestac commente Filles des Oiseaux

- - © Florence Cestac / Dargaud 2016
Douze ans après Super Catho, écrit avec René Pétillon, Florence Cestac replonge dans les souvenirs de son éducation religieuse dans la Normandie des années 1950. “Ça vous marque à jamais“, dit-elle, installée dans son appartement parisien. Si tout ce qu’elle y raconte est vrai, Fille des oiseaux n’a pourtant rien d’une autobiographie. Avec son humour grinçant et sa gouaille habituelle, la dessinatrice, Grand Prix du Festival d’Angoulême en 2000, raconte l'amitié entre deux filles, l'une issue d'un milieu modeste et l'autre d'une famille aisée. Dans le tome 2, qui sortira en 2017, Florence Cestac évoquera le parcours des deux personnages, de Mai 68 à nos jours. Avant de s'atteler à la suite du Démon de Midi, Le Démon de Minuit, consacré à la femme de 80 ans.

"Cette planche, c’est un peu le résumé de l’histoire. C’est le moment où ces deux filles se rencontrent. Elles n’avaient rien pour sympathiser. Elles appartiennent à deux univers radicalement différents: une vient de Neuilly et l’autre de la campagne. Une amitié va naître dans la rébellion, contre cette éducation catho. Les Oiseaux, c’étaient les pensionnats tenus par des bonnes sœurs. Ils étaient réservés aux jeunes filles pour leur donner une bonne éducation. Beaucoup de filles de mon époque y ont vécus. Mais ce n’est pas vraiment une autobiographie. C’est un mélange. Je pars toujours de faits que j’ai vécu et après je brode. J’étais une fille de petite bourgeoisie de province. J’avais demandé à aller en pension parce que je ne m’entendais pas bien avec mon père. À l’époque, je n’en ai pas souffert. C’était une sorte de monde clos où notre journée consistait à trouver des gags pour emmerder les bonnes sœurs. Il faut dire qu’elles étaient un peu ingrates. Elles ne sentaient pas toujours très bon. Je ne suis pas sûre qu’elles se lavaient tous les jours. Tout poussait: les poils, les boutons..."

"J’ai repris un peu les expressions de l’époque: "cantoche", "couillonnades", "se fendre la margoulette". C’est complètement démodé, mais c’est important pour remettre dans l’ambiance. Le lettrage est fait à la main. C’est important parce que, pour moi, le dessin et le lettrage, c’est pareil. Quand il faut accentuer certains mots, j’écris au pinceau. J’ai un appareil qui trace des portées, comme en musique, puis je mets mes lettres dessus. Je commence toujours par poser les bulles pour que le dessin n’y rentre pas. Mes bulles sont toujours au dessus des personnages. C’est la vieille école de la bande dessinée. Je me suis nourrie des grands classiques américains: Popeye, Superman… Il fallait que la lecture soit facile. Les mecs se tapaient un strip tous les jours dans le journal et une page en couleur le dimanche. La bande dessinée doit se lire vite. Il ne faut pas que le lecteur s’ennuie. Le rythme, c’est très important. Il faut laisser le lecteur avec l’envie de connaître la suite. J’aime que tout soit bien aligné. Je commence à dessiner l’album quand j’ai tout posé dans mon carnet de brouillons, lorsque toutes les pages sont mises en place. Je laisse rarement des choses au hasard. Sinon, je ne suis pas à l’aise. Je suis une fille assez rangée, en fin de compte. Ça doit être mon éducation catho".

"Le récit dans la pension est en sépia, pour obtenir un côté ancien. Cela s’est passé il y a cinquante ans. C’était un monde fermé. Il y avait deux voies possibles: épouse exemplaire ou servante du Seigneur. Le jeudi on partait en promenade, en rang avec une bonne sœur derrière, une bonne sœur devant. Dès que l’on croisait une bande de garçons, elles disaient: “baissez les yeux, mes filles, voici le péché qui passe”. Ça vous marque, ça. Soit vous devenez complètement bigote, et vous baissez les yeux, ou vous dites que ça ne vous convient pas. J’étais plutôt dans la deuxième catégorie. C’était terrible. Tous les jours se répétaient: la prière le matin et le soir, la messe, la vaisselle... Tout était poussiéreux, vieillot. On pensait que rien n’allait bouger. Puis, d’un seul coup, il y a eu Mai 68, de la musique et des fringues pour nous. L’album qui fera suite à celui-là sera tout en couleurs parce que l’on arrive dans un autre monde. Pour notre génération, cela a été un bouleversement."
Dargaud édite également une intégrale Harry Mickson & Co, qui regroupe l'ensemble des aventures de ce détective parodique née dans les années 1970 dans les bureaux des éditions Futuropolis.

"Harry Mickson, c’était la mascotte des éditions Futuropolis, qui étaient au départ une librairie de bande dessinée. C’est lorsque j’y travaillais que j’ai commencé à croquer ce petit personnage. Tous les jours, je le dessinais sur l’éphéméride. C’est mon premier personnage. Et il y a son chien, le fidèle Ratier. J’ai eu le même, que j’ai trouvé en solde sur les quais, à Paris. Elle était toute blanche, avec une tache sur l’œil. Ça m’a rappelé les films de Charlie Chaplin. Je l’ai eu pendant onze ans. Harry Mickson lit ici Popeye, que nous avons publié dans la collection Copyright, dont je me suis occupée personnellement. C’était les grands classiques américains, l’école de la bande dessinée. Il faut lire tout ça si vous avez envie de faire de la bande dessinée: Terry et les Pirates, Popeye, Mandrake, Charlie Chan, La Famille Illico, Polly and her pals… C’était une belle collection. Des grands classiques et des trucs pointus que l’on connaît peu en France. On a aussi publié des 30/40, des livres dans un format extrêmement grand pour être au plus près des originaux de l’auteur et montrer la beauté du trait. Le premier qu’on a fait, c’était Calvo. Puis on a fait Tardi, avec La Véritable histoire du soldat inconnu. On en a publié une quinzaine en tout. C’était passionnant. On bossait directement avec l’auteur. On était un peu des pionniers en lançant la notion d’auteur en bande dessinée: appeler un livre "Tardi" ou "Calvo" ou "Swarte", cela ne se faisait pas à l’époque. On achetait un album de Tintin, des séries. Mais un album de Tardi, jamais de la vie."
Fille des oiseaux, 60 p, Dargaud, 13,99 euros - en librairie depuis le 9 septembre.
Harry Mickson & Co, 216 p, Dargaud, 24,95€ - en librairie le 7 octobre.
Les planches originales de Filles des Oiseaux sont exposées du 16 septembre au 15 octobre à la Galerie Martel, 17 rue Martel (75010, Paris).
Renseignements: contact@galeriemartel.fr / 01 42 46 35 09. Ouvert de 14 h 30 à 19 heures du mardi au samedi. www.galeriemartel.com