Daniel Clowes: "J'espère qu'aucun enfant ne lira mon livre!"

- - Cornélius - Daniel Clowes - 2016
Une nouvelle fois, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême a boudé Daniel Clowes. Nommé une nouvelle fois pour le Fauve d’or, qui récompense le meilleur album de l’année, l’Américain est reparti bredouille samedi 28 janvier. L’auteur de Ghost World et de David Boring était nommé pour Patience, son premier comic book en cinq ans. Il y raconte les aventures spatio-temporelles de Jack, qui décide de retourner dans le passé pour découvrir l’assassin de sa femme, Patience.
Après quelques jours à Angoulême, Daniel Clowes était de passage à Paris à l’occasion de l’exposition que lui consacre la Galerie Martel, du 1er février au 11 mars. BFMTV.com l’a rencontré mardi 31 janvier, à quelques heures du vernissage. Il a accepté de commenter quelques passages de son dernier livre, Patience, dont la traduction française est parue à l’automne dernier chez Cornélius, l’éditeur bordelais qui publie depuis une vingtaine d’années ses albums.

Le début
"J'ai toujours voulu commencer un livre avec une image comme celle-ci! (rires) Je me suis toujours dit que cela serait parfait pour un livre qui retracerait la vie de quelqu’un, parce que c’est le moment où tout commence. A l’école, quand on voyait ces gros plans de la naissance de la vie, j’avais l’impression que c’était cosmique, que l’on était dans l’espace, devant une nébuleuse. Je voulais que le livre débute à l’intérieur du corps et dans l’espace. La plupart des lecteurs ne savent pas de quoi il retourne dans cette image. C’est normal. Je voulais que le lecteur puisse s’en rendre compte, mais seulement après, à la page suivante, en découvrant les autres cases (rires)."

Le hot-dog
"C’est la case la plus célèbre du livre! (rires) Après la sortie du livre, un de mes amis est venu me voir. Il m’a dit qu’il y avait beaucoup de détails très 'clowesiens' et m’a montré cette image en me disant: ‘Tu dessines toujours des gens en train de manger des hot dogs avec deux doigts!’ Je suis alors retourné dans mes travaux précédents et je me suis rendu compte que je le dessinais à chaque fois! Je ne sais pas d’où cela vient! Pour les couleurs, je scanne mes pages et j’utilise un logiciel assez compliqué d’architecture. Pour obtenir ces aplats de couleur, je suis obligé d’utiliser l’ordinateur. Il n’y a pas d’autres moyens. Je déteste ce processus, mais j’adore le rendu. On dirait les couleurs de vieux comics. Ce qui est génial, c’est qu’on envoie à l’imprimeur un fichier avec la couleur exacte que l’on désire. Dans le temps, vous disiez que vous vouliez un rouge, et cela pouvait être un rouge très terne comme un rouge très flashy qui vous arrache les yeux des orbites. Obtenir exactement le rouge que je désire est vraiment formidable. C’est l’unique chose que j’apprécie sur l’ordinateur."

Un rythme symphonique
"Je ne voulais pas aller vers l’étrangeté. J’avais une autre idée en tête. C’est difficile à décrire. Je ne voulais pas que Patience ressemble à Comme un gant de velours pris dans la fonte, que le lecteur tourne chaque page en s’attendant à trouver une nouvelle monstruosité. Je voulais que ce soit une expérience immersive, comme si cette absurde histoire pouvait réellement se dérouler. Je voulais aussi que le livre ait un rythme quasi symphonique, que le lecteur découvre une grande image après plusieurs pages avec des cases. J’en ai eu l’idée en lisant des livres à mon fils lorsqu’il avait 5 ou 6 ans. Dans les livres pour enfant, il y a plusieurs pages avec des cases puis des illustrations pleine page. On ne sait jamais ce que l’on va avoir en tournant la page. Il n’y a pas de raison que cela soit cantonné aux livres pour enfants. Dans David Boring, j’utilisais toujours les mêmes cases. C’est toujours le même rythme, cela fonctionne, mais il n’y a pas de surprises. J’ai utilisé une technique de livre pour enfant dans un livre pour adulte, mais j’espère qu’aucun enfant ne lira mon livre!"

Publicité mensongère
"J’ai pensé à cette page très tôt dans la production du livre. A l’époque, je me suis dit qu’il serait super de s’en servir pour faire un peu de publicité mensongère autour du livre (rires). Je ne suis pas un grand lecteur de science-fiction. Je ne connais pas beaucoup ce genre. Je suis bien plus intéressé par les récits humoristiques ou de détectives. Mais j’adore le 'look' de la science-fiction. Pour cette page, j’ai été influencé par Steve Ditko [le co-créateur de Doctor Strange et de Spider-Man, ndlr]. Je me suis appuyé sur mes souvenirs de certaines pages de Steve Ditko. Mais quand je suis allé relire ses comics, je n’ai rien trouvé de semblable. Il n’a jamais dessiné ces espèces de formes bizarres, mais ses personnages se perdent dans des mondes comiques. Il est vraiment le meilleur pour dessiner ces mondes que l’on ne voit pas."

Un souvenir de sa jeunesse
"C’est une scène que l’on pourrait enlever du livre sans affecter l’histoire. Mais, par bien des aspects, il s’agit de la scène la plus importante du livre. Elle contient beaucoup de choses. C’est la première fois dans le livre où l’on peut comprendre qui est ce personnage. Le lecteur connaît toute la vie de Patience, et rien de celle de Jack. Cette scène me tient beaucoup à cœur. Enfant, j’étais très solitaire. Je n’avais pas de frère et sœur. Je me rendais souvent dans le jardin de ma maison pour y lancer contre un arbre un ballon de football. J’ai le souvenir d’un voisin, que je n’avais jamais vu auparavant, qui s’est arrêté pour jouer avec moi. A ce moment, je m’étais dit: ‘Et si c’était mon moi futur?’ (rires). C’est ce dont parle cette page. Je trouve cette scène très émouvante."
Patience, Daniel Clowes, Cornélius, coll. Solange, 180 pages, 30,50 euros.