On a fait passer le bac philo à GPT-4: bon travail, mais "peut mieux faire"
Les dissertations de philosophie peuvent pour certains élèves être un véritable calvaire. Ils ont ainsi pu voir en ChatGPT l’outil parfait pour gagner du temps, laissant le chatbot d’OpenAI mettre ses talents au service d’une réflexion philosophique. Tech&Co avait déjà tenté l’expérience il y a quelques semaines en proposant à ChatGPT le sujet du bac de philosophie 2022: "la liberté consiste-t-elle à n'obéir à personne?"
Un résultat jugé très peu personnel voire artificiel par Marie Perret, professeure agrégée de philosophie et présidente de l'APPEP (Association des professeurs de philosophie de l'enseignement public). La professeure n’avait pas du tout été convaincue par l’ancienne version du chatbot d’OpenAI, qu’en sera-t-il avec GPT-4?
Arguments plus consistants
A contrario du premier test où ChatGPT s’était contenté de simples directives, GPT-4 offre lui un vrai plan de dissertation avec des exemples un peu plus concrets, comme avec Jean-Jacques Rousseau, William Godwin ou Thomas Hobbes (voir réponse complète en fin d’article). Un procédé qui ravit davantage Marie Perret.
"Je trouve le texte de meilleure qualité que le premier. On y trouve des références susceptibles d'éclairer la question. Les références sont plus précises et les arguments plus consistants", juge la professeure.
Car ici, GPT-4 n’a pas seulement fourni des exemples en vrac mais proposé un plan en trois parties avec chacune deux sous-parties (et des titres pour toutes), ainsi qu’une introduction et une conclusion. Cette dissertation reprend ainsi une forme de thèse/antithèse/synthèse plutôt classique, commençant ainsi avec une première partie "Arguments en faveur de l’idée que la liberté consiste à n’obéir à personne ".
"Le texte ressemble davantage à une dissertation: le premier se contentait de dire à l'usager ce qu'il devrait faire... sans vraiment le faire. Mais l'IA applique ce que nous déconseillons aux élèves: le plan "thèse-antithèse-synthèse" qui aboutit inéluctablement à une réponse tiède et inintéressante, du type "ni oui, ni non", constate Marie Perret.
La professeure note ainsi que les "références sont peu explicitées, et les arguments, peu nombreux." Avec une autre critique qui revient, à l’instar du premier test: GPT-4 n’est encore pas capable d’avoir une vraie réflexion philosophique.
"Introduction particulièrement creuse"
Difficile de laisser GPT-4 rédiger la dissertation sans relecture ni ajout personnel en aval. Marie Perret insiste en effet sur le fait que la touche personnelle d’un élève est toujours utile lors d’un examen de philosophie: "Ce texte, même s'il est meilleur que le premier, présente une limite: il ne rend pas compte d'une réflexion qu'un être pensant aurait menée sur le sujet, avec ses doutes, ses interrogations, ses hésitations, et aussi ses maladresses."
"L'IA est incapable de faire ce qu'un élève ferait: s'étonner du sujet, mettre en évidence la difficulté qu'il soulève, rendre compte d'un problème qu'il pourrait poser", explique la professeure.
Si l’ancienne version de ChatGPT proposait déjà une réponse artificielle, GPT-4 n’est au final pas plus naturelle selon Marie Perret. "L'introduction est particulièrement creuse. Le plan est très formel et artificiel. En dissertation, le plan n'est pas un moule qui s'imposerait à la pensée de l'extérieur. Il rend compte du mouvement même de la pensée, des moments par lesquels elle est passée, des étapes de son cheminement", indique la professeure.
"ChatGPT ne dit pas de bêtise, et c'est bien cela sa limite", ajoute Marie Perret.
GPT-4 peut-il ainsi être utilisé pour les dissertations de philosophie? Selon la spécialiste de philosophie, oui, mais à une condition: que la réponse proposée ne serve que d’ébauche de plan, lors de l’étape du brouillon.
"ChatGPT a encore des efforts à faire sur le plan de la rédaction pour leurrer un professeur de philosophie", résume Marie Perret. Les élèves en panne d'inspiration devront donc patienter encore un peu (jusqu'à l'hypothétique GPT-5?) avant d'obtenir 20/20 en philosophie.
La copie rendue par GPT-4 pour le sujet "La liberté consiste-t-elle à n'obéir à personne?"
Introduction
La liberté est un concept philosophique central qui suscite de nombreuses réflexions et débats. Elle se manifeste dans des domaines variés, tels que la politique, la morale, ou encore la culture. Une question récurrente dans les discussions sur la liberté est de savoir si elle consiste à n'obéir à personne. Pour y répondre, cette dissertation examinera d'abord les arguments en faveur de cette idée, puis ceux qui la contestent, avant de proposer une vision plus nuancée de la liberté.
I. Arguments en faveur de l'idée que la liberté consiste à n'obéir à personne
A. La liberté individuelle et l'indépendance d'esprit
Certains philosophes, tels que Jean-Jacques Rousseau, mettent en avant l'idée que la liberté consiste à ne dépendre d'aucune autorité extérieure. Cette vision de la liberté souligne l'importance de l'autonomie et de l'indépendance d'esprit. N'obéir à personne impliquerait alors de pouvoir penser par soi-même et de prendre des décisions sans être contraint par les opinions et les directives d'autrui.
B. La critique de l'autorité et des hiérarchies sociales
Ce point de vue s'inscrit également dans une critique plus large de l'autorité et des hiérarchies sociales. Des philosophes anarchistes, comme William Godwin, ont défendu l'idée que la liberté ne peut être pleinement réalisée tant que les individus sont soumis à des institutions coercitives, telles que l'État ou l'Église. Selon cette perspective, n'obéir à personne serait un moyen de se libérer des chaînes imposées par les structures de pouvoir.
II. Arguments contestant l'idée que la liberté consiste à n'obéir à personne
A. La nécessité des lois et des règles pour la coexistence pacifique
Cependant, cette vision de la liberté présente des limites. En effet, la vie en société requiert certaines règles et lois pour garantir la coexistence pacifique des individus. Des philosophes, tels que Thomas Hobbes, ont ainsi soutenu que la liberté implique l'acceptation d'un contrat social, par lequel les individus renoncent à une partie de leur liberté pour bénéficier d'une sécurité collective. Dans ce contexte, obéir à des lois justes et équitables ne serait pas incompatible avec la liberté.
B. La distinction entre autonomie et indépendance absolue
De plus, il est essentiel de distinguer entre l'autonomie et l'indépendance absolue. Le philosophe allemand Emmanuel Kant a notamment développé l'idée de l'autonomie comme capacité à se donner soi-même des règles morales, en se basant sur la raison et le respect de la dignité humaine. Selon cette perspective, la liberté ne consiste pas à n'obéir à personne, mais plutôt à choisir librement d'obéir à des principes universels et rationnels.
III. Une vision nuancée de la liberté
A. La liberté comme équilibre entre indépendance et responsabilité
En tenant compte des arguments précédents, il est possible de proposer une vision nuancée de la liberté. Plutôt que de la concevoir comme une indépendance absolue ou une soumission totale à des règles externes, la liberté pourrait être comprise comme un équilibre entre indépendance et responsabilité. Les individus devraient disposer d'un espace de choix et de réflexion personnelle, tout en tenant compte de l'impact de leurs actions sur les autres et en acceptant de se conformer à des normes sociales justes et équitables.
B. La liberté comme processus d'émancipation
Dans cette perspective, la liberté peut également être envisagée comme un processus d'émancipation, qui implique à la fois un travail sur soi-même et une transformation des conditions sociales. Cette vision rejoint les idées de penseurs tels que Paulo Freire, pour qui la liberté ne se réduit pas à une absence de contraintes, mais suppose un engagement actif dans la construction d'un monde plus juste et solidaire.
Conclusion
En conclusion, la liberté ne consiste pas simplement à n'obéir à personne. Si l'indépendance d'esprit et la critique de l'autorité sont des éléments importants de la liberté, il est également nécessaire de prendre en compte la dimension sociale et les responsabilités qui en découlent. La liberté implique donc un équilibre entre autonomie et engagement collectif, ainsi qu'un processus constant d'émancipation personnelle et sociale.