Les magasins de jouets ont-ils encore un avenir?

Un magasin de jouets à Tours, en 2012. - ALAIN JOCARD / AFP
Les magasins de jouets seront-ils bientôt un vieux souvenir pour adulte nostalgique? Le contexte du marché pour les magasins spécialisés a en effet de quoi inquiéter même les plus détendus des observateurs. En mars, c’est le géant américain Toys"R"Us qui a annoncé la liquidation de ses 753 magasins physiques aux Etats-Unis. En France, l'enseigne La Grande Récré, propriété du groupe français Ludendo placé en redressement judiciaire à la mi-mars, a de son côté prévu la fermeture de 53 de ses 252 enseignes. La concurrence des hypermarchés mais surtout du commerce en ligne, avec Amazon et CDiscount, se fait plus que jamais sentir.
Après quatre années de croissance consécutives, le marché du jouet dans son ensemble a en plus subi une baisse de 0,8% l'année dernière.
"D’un côté on a des ventes en ligne qui continuent de progresser: l’année dernière sur la France, elles représentaient 29% du chiffre d’affaires du jouet, soit une croissance de 14%. D’un autre côté il y a un recul des ventes en magasin de 5% sur la même période. Mais les ventes de jouets dans les magasins spécialisés, c’est toujours 40% du chiffre d’affaires en 2017, c’est énorme. La France est l’un des pays où le réseau des spécialistes est le plus costaud", tempère Frédérique Tutt, spécialiste du monde du jouet au cabinet NPD.
"Les jeunes générations sont plutôt des adeptes de la consommation en ligne"
Et si toutes les enseignes ont désormais leur service d’achat en ligne, elles ont tout de même mis un peu de temps à réagir à l’arrivée des pure-players. "Avec 3,4 milliards d’euros par an, le marché du jouet est un petit marché. Pour donner un ordre de grandeur, c’est le chiffre d’affaires de Décathlon", remarque Franck Mathais, porte-parole de Joué Club. "Mais c’est surtout un marché extrêmement saisonnier: quand vous avez 50% des ventes qui sont concentrés sur les deux derniers mois de l’année, ça veut dire qu’il y a une capacité à entrer dans ce marché qui est extrêmement forte. Et comme en plus c’est un marché dominé par les marques, c’est assez facile de proposer une offre qui tienne la route, d’être un nouveau concurrent et de s’en sortir convenablement."
Le vent mauvais qui se lève dans le secteur touche évidemment d’autres marchés, comme l’habillement ou la grande distribution. Mais tout va peut-être un peu plus vite dans le secteur du jouet.
"Tous les ans vous avez des enfants qui sont plus âgés et qui ne sont plus demandeurs de jouets, et à l’inverse tous les ans vous avez des naissances. Donc vous avez un roulement de clients qui se fait chaque année. Et la question c’est est-ce que les parents d’enfants nés cette année, ils vont aller chez la Grande Récré, chez Carrefour ou chez Amazon? L’enjeu est là. Les jeunes générations sont plutôt des adeptes de la consommation en ligne que de la consommation physique", explique Franck Mathais.
"Les enfants d’aujourd’hui préfèrent aller dans un magasin. Mais pas n’importe lequel"
Et cette concurrence fait très mal, dans le contexte d’un marché un peu plat. "Il n’y a pas énormément de croissance et on a en France six chaines importantes de spécialistes de jouets. C’est plus que dans les autres pays européens, et c’est peut-être tout simplement un rééquilibrage. D’autant qu’on souffre quand même un peu du recul des naissances dans le pays. On a moins de bébés donc ça impacte un peu le marché", reprend Frédérique Tutt. Mais ces enfants-là, les leaders du secteur vont tout de même tenter de les faire venir coûte que coûte dans leurs magasins.
"Les enfants d’aujourd’hui préfèrent aller dans un magasin. Mais pas n’importe lequel. Ils iront dans celui où ils vont vivre quelque chose d’extraordinaire", indique Frédérique Tutt. Selon elle, les acteurs du marché s’éloignent peu à peu du modèle "big-box" de Toys"R"Us:
"Des rayons, des rayons et des rayons, mais pas tellement de vie et d’émerveillement. Alors que les enfants ils aiment regarder, toucher découvrir, courir dans un magasin. Ce sont de bons moments si on prend le temps. Ce n’est ni l’hyper, ni internet. Alors il faut parler aux parents, mais aussi aux enfants qui sont prescripteurs et qui vont dire 'maman, on va dans ce magasin!'".
"Sur Amazon le choix est considérable. Mais pour ceux qui veulent se faire guider c’est compliqué"
Ces "bons moments", certains tentent de les créer depuis quelque temps. "Il y a un distributeur aux USA qui avait disparu, qui se relance et qui veut créer une liste pour les goûters d’anniversaire, qui se fera lui-même dans le magasin. On peut faire la même chose avec les naissances ou Noël. Ils parlaient aussi d’ouvrir des cafés dans les grands magasins. En Angleterre, un autre a lancé un concours sur Youtube, où il invite les enfants à se filmer en déballant leurs jouets. Plutôt que de payer des influenceurs des milliers d’euros, ils ont demandé aux enfants d’envoyer volontairement leurs vidéos."
Mais la clé est aussi dans ce qui devrait faire la force d’une vente physique: les conseils des vendeurs. "Sur Amazon le choix est considérable. Mais pour des gens qui veulent se faire guider, plus le choix est monstrueux, plus c’est compliqué", remarque Franck Mathais. Dans ce domaine, les magasins physiques ont encore un vrai avantage concurrentiel: les catalogues de Noël.
"C’est l’outil de consommation indispensable pour toutes les enseignes, spécialisées ou généralistes. C’est à partir de ça que la liste au Père Noël va se réaliser."