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Inquiétudes après l'adoption d'une proposition de loi sur la résidence alternée

(Photo d'illustration)

(Photo d'illustration) - Barbara Sax-AFP

Alors que la proposition de loi sur la résidence alternée des enfants a été adoptée en commission à l'Assemblée nationale, les associations de défense des femmes victimes de violences conjugales craignent que ce texte n'aggrave leur situation.

La résidence alternée des enfants, qui était jusqu'à présent une possibilité en cas de séparation des parents, pourrait être envisagée en premier lieu. La proposition de loi Modem posant la résidence alternée comme principe de base a été votée mercredi en commission à l'Assemblée nationale.

Mais elle a été substantiellement réécrite par la majorité face au vif débat suscité dans l'opinion. L'objet de la proposition de loi n'est plus "le principe de garde alternée des enfants" mais "la résidence de l'enfant en cas de séparation des parents", selon un amendement du rapporteur Vincent Bru, élu MoDem.

La nouvelle rédaction précise que "la résidence de l'enfant est fixée au domicile de chacun des parents selon les modalités de fréquence et de durée déterminées par accord entre les parents ou par le juge". Caroline Abadie, députée LREM de l'Isère, précise que "ni la fréquence, ni la durée ne sont déterminées par ce texte", qui vise avant tout à "fixer une résidence administrative". 

"On n'oblige pas à un partage égalitaire. Le texte fait juste la résidence alternée comme la première option si elle est faisable", a plaidé l'auteur de la proposition, Philippe Latombe.

Alors que le texte initial prévoyait que le juge devait invoquer "une raison sérieuse" pour déroger au principe de la résidence alternée, la nouvelle rédaction prévoit que le juge peut le faire "à titre exceptionnel". Dans ce cas, le juge "statue sur les modalités du droit de visite de l'autre parent. Ce droit de visite, lorsque l'intérêt de l'enfant le commande, peut, par décision spécialement motivée, être exercé dans un espace de rencontre désigné par le juge", selon le texte.

18,8% des pères la demandent

Une double résidence qui ne concernera pas toutes les séparations, tient à rappeler à BFMTV.com Christine Passagne, conseillère technique accès au droit à la Fédération nationale des centres d'information des droits des femmes et des familles (FNCIDFF). "La résidence alternée pourra être imposée si l'un des parents la demande mais si un des parents ne veut pas que la résidence soit fixée chez lui on ne pourra pas la lui imposer. Or, certains parents, particulièrement des pères, ne désirent pas que la résidence soit fixée chez eux." Selon le ministère de la Justice, seuls 18,8% des hommes la réclament. Ils l'obtiennent dans 17,3% des cas. Au total, sept enfants de parents passés devant un juge sur dix résident chez leur mère.

Françoise Brié, la directrice générale de la Fédération nationale solidarité femmes, ne comprend pas pourquoi cette proposition de loi a été adoptée "dans l'urgence, sans prendre le temps de débattre et d'analyser la situation".

"On a été très peu consulté. La résidence alternée est déjà dans la loi, indique-t-elle à BFMTV.com, 83% des couples se mettent d'accord devant le juge. Pourquoi faire tout cela au pas de charge?"

"Le volet économique n'a pas été pris en compte"

Pour certaines associations de défense des mères, ce texte de loi pourrait même s'avérer dangereux. "Certains pères réclament la résidence alternée afin de payer moins de pension alimentaire, ils ne la souhaitent pas vraiment", assure à BFMTV.com Stéphanie Lamy, co-fondatrice du collectif Abandon de famille. Selon cette militante, cette proposition de loi "a été écrite avec les pieds et sur un coin de table".

"Cela ressemble à ce qui existait déjà mais en pire", dénonce-t-elle. "Il faut arrêter de dire que c'est parce que la mère ne le veut pas qu'il n'y a pas de résidence alternée. C'est le juge des affaires familiales qui décide, pas la mère. Nos législateurs n'ont pas conscience de ce qu'il se passe dans les tribunaux."

Elle regrette que les aspects et les conséquences économiques d'une systématisation de la résidence alternée aient été "balayés".

"Que se passera-t-il pour la répartition des aides sociales, du calcul du coefficient familial, de la pension alimentaire? Le volet économique n'a pas été pris en compte alors que c'est un sujet économique."

"Un homme violent ne peut pas être un bon père"

Autre vif sujet d'inquiétude: les couples dans lesquels la mère est victime de violences conjugales. Dans nombre de situations, les femmes n'osent pas parler et ne déposent pas plainte, la question des violences n'entre ainsi pas en compte pour la résidence des enfants.

"C'est de la folie, s'indigne Madeline da Silva, une militante féministe auteure d'une pétition de défense des enfants, jointe par BFMTV.com. "Un homme violent ne peut pas être un bon père, ce serait prendre trop de risques en lui confiant l'enfant. Et puis, que va-t-il dire sur leur mère quand il aura la garde? Quelle emprise aura-t-il?"

C'est également ce que pointe le Haut conseil à l'égalité (HCE). "Ce texte est un véritable danger pour les femmes victimes de violences et leurs enfants, et dans le même temps une aubaine pour les agresseurs, pour lesquels la résidence alternée sera un moyen de maintenir l'emprise sur leur ex-conjointe par le biais des enfants", a dénoncé Danielle Bousquet, sa présidente.

Christine Passagne, de la FNCIDFF, craint l'accroissement de décisions de justice inopportunes. "Il existe des cas où la résidence alternée est accordée alors que des violences conjugales ont été avérées et sanctionnées par la justice." Elle estime que les juges, "qui ne rencontrent les parents que brièvement", devraient être davantage sensibilisés à la question des violences conjugales.

"Quid du harcèlement post-séparation?"

Le collectif féministe Les Effrontées se dit également extrêmement préoccupé. "Les enfants se trouvent en prise directe avec l'agresseur durant les droits de visite et d'hébergement", estime-t-il dans un communiqué. "C'est dans la sphère familiale que les violences s'exercent le plus, et la séparation y met rarement fin, voire parfois accélère la violence, et même jusqu'au féminicide."

Des inquiétudes partagées par le Collectif national pour les droits des femmes. "Quid du harcèlement post-séparation?" s'interroge-t-il, "la résidence alternée devient alors une arme dans les mains du parent agresseur".

"Cette proposition de loi est inutile, le principe de la résidence alternée existe déjà dans la loi. Aller vers une systématisation de la résidence alternée représente un danger pour les femmes et les enfants victimes de violences intra-familiales."

Des professionnels de l'enfance (pédopsychiatres, psychologues, psychiatres), réunis au sein du Collectif scientifique sur les dangers de la résidence alternée chez les jeunes enfants, ont également écrit aux députés pour s'opposer au texte. En 2014, plus de 5500 professionnels de l'enfance avaient déjà signé une pétition demandant qu'aucune décision de résidence alternée ne soit imposée judiciairement avant l'âge de six ans.

Les députés débattront le 30 novembre prochain dans l'Hémicycle. S'il est adopté, le texte n'en sera qu'au début de sa navette parlementaire. Son entrée en vigueur n'est prévue qu'en 2019.
Céline Hussonnois-Alaya