Francis Heaulme, itinéraire sanglant du "routard du crime"

Le tueur en série Francis Heaulme a été renvoyé jeudi devant les assises pour le double meurtre de Montigny-lès-Metz. Retour sur le parcours sanglant du "routard du crime".
Traits taillés à la serpe, bouche cousue et verres fumés: depuis deux décennies, le visage de Francis Heaulme est associé au décor des salles d'audiences et à la rubrique fait divers, catégorie crime. Déjà condamné six fois pour neuf meurtres, le "routard du crime" est, à 55 ans, de nouveau renvoyé devant les assises de la Moselle pour le double meurtre de Montigny-lès-Metz, en 1986. Peut-être une étape de plus sur son parcours sanglant.
Cité radieuse
Comme un pied de nez à la noirceur de son destin, c'est dans une "cité radieuse" de Le Corbusier, à Briey-la-Forêt en Meurthe-et-Moselle, que naît Francis Heaulme en 1959. Dans son ouvrage Tueurs en série, Pascal Dague note qu'il souffre du syndrome de Klinefelter, une anomalie génétique qui se traduit, chez un garçon, par la présence d'un chromosome sexuel X (féminin) de trop. Ce syndrome a pour principales conséquences stérilité et impuissance sexuelle.
Proche de sa mère, Francis Heaulme a des rapports houleux avec son père, un électricien alcoolique et violent qui le brime notamment pour son allure asexuée. Il développe lui-même un penchant précoce pour la boisson, et le premiers troubles psychiatriques apparaissent. À vingt ans, il se prend de passion pour le cyclo-tourisme. Quatre ans plus tard, en 1984, il quitte durablement le foyer familial pour une vie sur la route.
Road trip sanglant
La suite est un road trip de huit ans, de 1984 à 1992, une errance dans 37 départements en train, en stop ou à pied, émaillée de meurtres. Neuf, pour le moment, ont été recensés par la justice.
Pour les tribunaux, la rencontre de Francis Heaulme avec le crime remonte à novembre 1984. Avec l'un de ses collègues de travail d'une entreprise de BTP, il prend en stop une apprentie pâtissière de 17 ans, Lyonnelle Gineste, qui sera retrouvée nue, poignardée et étranglée dans un bois près de Pont-à-Mousson, en Meurthe-et-Moselle.
Francis Heaulme vit alors du RMI et de petits boulots dans le BTP, fréquente les foyers Emmaüs et les hôpitaux psychiatriques, où il demande parfois lui-même à être admis. Au gré de ses pérégrinations, il rencontre des complices occasionnels, qui l'entraînent, ou qu'il entraîne, dans ses coups de folie.
"Manipulateur" au "regard intense"
Au printemps 1989, Jean-François Abgrall, jeune sous-officier de la gendarmerie de Relecq-Kerhuon, dans le Finistère, enquête sur le meurtre d'une aide-soignante de 49 ans, Aline Pérès, commis sur une plage de la banlieue de Brest.
En juin, l'enquêteur entend en qualité de témoin un marginal qui a séjourné, la nuit avant le meurtre, dans un foyer Emmaüs proche. Francis Heaulme a 30 ans, le même âge que lui. Mais faute d'aveux et de preuves matérielles, Jean-François Abgrall doit alors le relâcher. Plus tard, l'enquêteur décrira un homme "manipulateur" au regard "intense" et témoignera avoir eu le sentiment de tenir son homme.
Abgrall suit donc son intuition, s'obstine et effectue des recherches. Au Service techniques de recherches judiciaires de Rosny-sous-Bois, il apprend que la Brigade de recherches d'Avignon enquête sur Francis Heaulme, dans le cadre du meurtre d'un ancien légionnaire de 60 ans le long d'un cours d'eau près d'un foyer Emmaüs.
"Pépins"
Il faudra attendre 1992 au jeune gendarme pour parvenir à l'interpeller. Pendant ce temps, Francis Heaulme a continué son parcours sanglant. Il a notamment égorgé une adolescente de 14 ans, Laurence Guillaume, rencontrée lors d'une fête foraine, et poignardé Jean Rémy, un homme dépressif qui errait comme lui sur la grève à Boulogne-sur-Mer.
En prison, débutent de longues discussions entre le vagabond et l'enquêteur. De ces huis-clos, Jean-François Abgrall tirera un livre, Dans la tête du tueur, adapté à la télévision. Francis Heaulme, note-t-il, semble presque heureux de ses visites. Comme une distraction. Il lui avoue que "chaque fois [qu'il] passe quelque part, il y a un meurtre dont [il] est le témoin". Plus que de meurtres, il préfère d'ailleurs parler de "pépins". Puis, au fil de son récit, le coupable fantasmé disparaît et le vagabond finit par avouer.
Le temps de la justice
Le premier procès pour lequel Francis Heaulme est renvoyé aux assises est celui d'Aline Pérès, l'aide-soignante bretonne qui avait mis l'enquêteur breton sur sa piste, en janvier 1994. La cour d'assises du Finistère le condamne à 20 ans de réclusion criminelle.
Puis les audiences s'enchaînent. En tenant "son" tueur, Jean-François Abgrall a permis à d'autres enquêteurs, dans la France entière, de faire le lien si difficile entre Francis Heaulme et des meurtres non élucidés, commis à la fin des années 1980 ou au début des années 1990.
La variété des lieux géographiques et du profil des victimes, le changement de mode opératoire et la présence ou non de complices expliquent pourquoi les enquêteurs ont mis si longtemps à retrouver sa trace.
Enfant, serveuse et retraitées
En 1997, la cour d'assises du Var condamne le vagabond à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre d'un petit garçon belge de 10 ans, Joris Viville, dans un camping près de Saint-Tropez en 1989. Deux ans plus tard, Francis Heaulme écope de 20 ans pour le meurtre de Lyonelle Gineste, la jeune fille de Pont-à-Mousson. En 2001, il est condamné à 30 ans de réclusion pour le meurtre d'une autre jeune femme, Annick Maurice, en 1986 à Metz.
On lui découvrira en 2004 trois autres crimes, commis dans la Marne en 1988 et 1999: une serveuse qui l'avait pris en stop, Sylvie Rossi, et deux retraitées, Ghislaine Ponsard et Georgette Manesse, abattues chez cette dernière.
Intelligent, impuissant
Quant à ses motivations? Elles restent troubles. Francis Heaulme est toujours resté de marbre devant ses crimes. Les experts psychiatres ont fait état de troubles psychiatriques, largement favorisés par l'alcool, mais s'accordent sur sa responsabilité pénale. De même, Jean-François Abgrall a toujours soutenu la thèse d'un individu intelligent, alors qu'il était parfois présenté comme débile léger.
Du fait de son impuissance, Francis Heaulme n'a jamais abusé sexuellement de ses victimes (certains de ses complices l'ont fait). L'un des experts, le docteur Michel Dubec, a alors avancé la thèse d'une "surcompensation par l'acte meurtrier" si l'agresseur éprouvait une pulsion de viol.
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