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"Des passoires": la mort d'une infirmière à Reims soulève la question de la sécurité des hôpitaux

La mort d'une infirmière mortellement poignardée au sein du CHU de Reims par un homme aux lourds antécédents psychiatriques illustre les failles dans la sécurisation des hôpitaux.

Les portes sont ouvertes 24h/24, du personnel soignant y est présent de jour comme de nuit et, lieu public par excellence, on y entre comme dans un moulin. Depuis la mort d'une infirmière, poignardée au sein du CHU de Reims par un homme aux lourds antécédents psychiatriques, la question de la sécurité dans les hôpitaux est sur le devant de la scène politique.

"L'hôpital c'est une passoire, un gruyère, on rentre partout", assène Valérie Rozalski, infirmière et secrétaire générale CGT au CHU de Reims.

Carène Mezino, 37 ans, infirmière au CHU de Reims a été attaquée au couteau lundi en début d'après-midi, et est décédée dans la nuit de lundi à mardi. L'agresseur présumé, un homme de 59 ans aux antécédents psychiatriques lourds, est soupçonné d'"assassinat", mais aussi de "tentative d'assassinat" sur une secrétaire médicale blessée, mais dont les jours ne sont plus en danger.

Des antécédents psychiatriques

La vive émotion que suscite ce drame soulève naturellement la question de la sécurité dans les hôpitaux. Comment ce drame aurait-il pu être empêché? "On ne va pas faire des hôpitaux publics des prisons avec une fermeture absolue", estime Arnaud Robinet, maire Horizons de Reims et président de la Fédération hospitalière de France.

"Le vrai sujet est celui de la psychiatrie, qui est le parent pauvre depuis plusieurs années. Il y a eu une prise de conscience par les pouvoirs publics", poursuit l'édile.

Pour cause, l'agression s'est déroulée dans l'unité de médecine du travail de l'hôpital, située à côté du service de psychiatrie où était suivi le suspect. L'homme avait également déjà été entendu par la justice pour des "violences aggravées" dans une précédente affaire d'agression au couteau.

En 2017, dans l'établissement et service d'aide par le travail où l'auteur de l'agression résidait, il avait poignardé quatre personnes dans ce lieu réservé aux patients souffrant de troubles psychiques. René Mautrait, maire du Meix-Tiercelin dans la Marne, était alors "venu le calmer", témoigne-t-il auprès de BFMTV.

"Il était en pleine crise, donc je n'ai pas pris de risque. Je l'ai fait venir vers moi, on a discuté, il m'a parlé de problèmes avec sa copine et de problèmes avec sa mère. Cinq minutes après, les gendarmes sont intervenus", détaille l'élu.

Le tribunal de Châlons avait rendu en juin 2022 une ordonnance demandant à la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de statuer sur "une éventuelle irresponsabilité pénale en raison de l'abolition de son discernement", a expliqué le procureur Matthieu Bourrette mardi soir. La chambre devait également décider des "mesures de sûreté à prendre après cette affaire”.

Malgré son profil, le suspect vivait libre, sans contrainte judiciaire. Ses voisins décrivent une personne très étrange, "au regard insistant", selon l'un d'eux, interrogé par BFMTV.

Après son interpellation mardi, l'homme a expliqué à la police en vouloir au personnel soignant. Il estimait avoir été maltraité dans le milieu psychiatrique et a dit qu'il recommencerait, qu'à chaque fois qu'il croiserait une "blouse blanche", il s'en prendrait à elle pour se venger, selon les informations du service police-justice de BFMTV. Arrêté avec un couteau dont la lame mesurait 20 centimètres, l'homme a reconnu avoir porté "trois ou quatre coups" aux victimes.

Interpellé à trois reprises lors des questions à l'Assemblée nationale, le ministre de la Santé François Braun a promis de réunir ce jeudi matin syndicats et représentants des professionnels de santé pour étudier à court terme "des solutions possibles pour améliorer cette sécurité".

Hasard du calendrier, l'Ordre des médecins a publié mardi, comme prévu de longue date, son Observatoire annuel de la sécurité des médecins, basé sur les signalements d'agression effectués par les praticiens, libéraux ou hospitaliers.

Le nombre d'agressions signalées en 2022 a augmenté de 23%, à 1244. Un record depuis la création de l'Observatoire en 2003.

"Ce n'est que la partie émergée de l'iceberg", puisque des incidents ne sont pas signalés, prévient le docteur Jean-Jacques Avrane, chargé de l'Observatoire au Conseil de l'Ordre.

Pour lui, "il y a une violence générale dans la société à laquelle on ne peut pas échapper". Une cadre de santé dans un hôpital breton et qui témoignait en ce sens pour RMC expliquait que "l'agressivité verbale est quotidienne, pour tous les soignants".

Les troubles psychiatriques au premier rang

Dans les Deux-Sèvres, Alexandre, ambulancier, a perdu sa collègue il y a trois ans, mortellement poignardée. Depuis ce drame, l'hôpital a recruté un agent de sécurité, mais l'ambulancier regrette que cet employé de sécurité ne soit présent "que la nuit".

"On aurait aimé qu'il soit présent 24/24h pour nous aider en cas de problèmes. Depuis ce drame, au niveau des patients en psychiatrie, c'est vrai qu'on est un peu plus méfiants. Mais on n'est pas mieux formés", déplore-t-il.

Les agressions les plus graves, qui restent relativement rares, sont souvent le fait de patients souffrant de troubles psychiatriques. Dans les autres cas, l'exaspération due à l'attente, la douleur ou l'alcool sont à l'origine d'insultes, menaces de mort et coups.

Selon les derniers chiffres rendus disponibles par le ministère de la Santé, 29.214 personnes ont été victimes d'une agression (verbale ou physique) en 2021 en établissement de santé, dont 10.577 étaient des infirmières.

Manel Menguelti