Comment le replay bouleverse les audiences télé

- - AFP - Bertrand Guay
Ce n’est pas encore une révolution, mais déjà le signe d’un usage de la télé qui change à grande vitesse. Le samedi 17 mars dernier, TF1 termine en tête des audiences grâce à The Voice, qui réunit 5,229 millions de téléspectateurs. La première chaîne est talonnée par France 3 et son téléfilm Meurtres en pays d’Oléron, regardé par 5,119 millions de personnes.
Seulement voilà, la première place de TF1 sur le podium du samedi soir tombe une semaine plus tard: grâce à son audience en replay, France 3 passe en tête avec 6,1 millions de téléspectateurs, soit 400.000 de plus que TF1.
Ce focus sur une soirée vient confirmer une tendance lourde. Les Français ne désertent pas encore la télévision en direct, puisque leur consommation moyenne sur une journée était de 3h42 en 2017, en baisse d’une petite minute par rapport à 2016. En revanche, la part des écrans internet et des replays dans la durée d’écoute individuelle quotidienne de la télévision est désormais de 8,7%, un chiffre en augmentation de 43% en à peine deux ans. Chaque jour, le replay réunit désormais 5,7 millions de téléspectateurs, soit 2,5 fois plus qu’il y a seulement trois ans.
Le replay représente 5% de la consommation de télé
Médiamétrie, qui mesure les audiences télé, a pris en compte ce changement depuis plusieurs années. "Depuis 2007 ou 2008", fait remarquer Jean-Pierre Panzani, directeur des opérations TV et Internet. "C'était balbutiant, mais on sentait bien que le nomadisme télé était en train de se créer". En 2016, "on a remis le système complètement d’équerre. Aujourd’hui sur un poste de télévision, on connaît tous les publics d’un programme. Celui du live, celui du différé privé et celui du replay".
Si la grande majorité de la consommation télé se fait encore en live, Jean-Pierre Panzani confirme une montée en puissance.
"La contribution du 'délinéaire', replay et différé privé, représente une contribution de 5% de la consommation totale de télé en France. Ces 5%, si c’était une chaîne, ce serait la cinquième de France. La cinquième chaîne de télévision française et donc une chaîne que les Français se sont faite eux-mêmes en allant choisir les programmes à droite ou à gauche! Ce qui est remarquable, c’est que ça rajeunit la télé. En 2017, quand on regarde la télé, on a en moyenne 46,5 ans. Quand on regarde la télé en replay, on a 39,9 ans".
"Cette consommation a pénétré toutes les tranches d’âge"
"Le virage est bien pris depuis un petit paquet d’années, et les choses ne font que s’accélérer", confirme Florence Le Borgne, analyste TV et média digital chez Idate, un think-tank spécialisé dans l’économie numérique. Alors que les chaînes croyaient au départ cet usage réservé aux jeunes générations, elles constatent aujourd’hui que "cette consommation a pénétré toutes les tranches d’âge". "Et ça, c’est un indicateur important d’un mode de consommation qui est vraiment adopté par tous, qui va continuer à se développer, et qui sera facilité par la pénétration du haut et du très haut débit", prédit Florence Le Borgne.
Problème, les revenus issus de ce qu’on appelle la catch-up TV, ou télé de rattrapage, sont loin d’atteindre ceux de la télé traditionnelle. "Quand vous prenez une série télé sur TF1, que vous additionnez le nombre de téléspectateurs en temps réel et le nombre de spectateurs en replay, on est sur une consommation globale de ce que TF1 faisait il y a quelques années, quand la TNT n’existait pas et la catch-up non plus. Mais globalement, la perte est quand même significative entre ce que rapporte un téléspectateur sur TF1 à 20h50 et ce qu’il va rapporter en regardant la même chose sur MYTF1 deux jours après. D’où les discussions entamées par TF1 et M6 avec les opérateurs télécom et avec Canal pour essayer de récupérer du chiffre d’affaires additionnel", assure Florence Le Borgne.
"Les gens ont besoin qu’on leur raconte des histoires dans lesquelles ils peuvent s’identifier"
Le paradoxe, c’est que "le contenu télé est encore pertinent, c’est juste qu’on le consomme différemment", assure-t-elle. Pour les chaînes de télévision traditionnelles, les retransmissions sportives en direct ou les émissions interactives où le téléspectateur a un rôle à jouer, du type The Voice, sont deux grosses cartes à jouer. Ce qui fait dire à Florence Le Borgne qu’elle "croit assez peu à un scénario dans lequel la télévision linéaire disparaîtrait complètement". En revanche, les grands acteurs du secteur devront sans doute trouver un moyen de mutualiser les coûts de production voire leurs contenus à plus ou moins court terme.
Suffisant pour éloigner la concurrence d’acteurs de dimensions mondiales comme Netflix et Amazon? Peut-être, parce que les productions de séries nationales continuent de leur côté de squatter la première place des classements d'audiences, et à travers toute l’Europe. C’est même vrai pour la France, un pays où les séries américaines ont longtemps fait la loi.
"Netflix a fait Marseille, mais ils sont très loin de pouvoir proposer une offre franco-française extrêmement large. Or, les gens ont besoin qu’on leur raconte des histoires dans lesquelles ils peuvent s’identifier, où ils retrouvent des codes culturels qu’ils connaissent", conclut Florence Le Borgne.