Loi Travail: l'hôpital Necker vandalisé fera-t-il basculer l'opinion publique?

Les violences qui ont émaillé la manifestation contre la loi Travail mardi pourraient faire basculer l'opinion publique, qui soutient majoritairement le mouvement depuis le début de la contestation. Pourtant, François Hollande n'en sortirait pas vainqueur. Explications.
La guerre des mots pour gagner la bataille de l'opinion. La mobilisation de l'opinion contre la loi Travail aurait-elle basculé? C'est ce que semble vouloir faire croire le gouvernement. Dans tous les cas, une nouvelle séquence a commencé mardi pour la contestation sociale. Plusieurs casseurs ont pris pour cible l'hôpital Necker dans le 15e arrondissement de Paris - spécialisé dans la prise en charge des enfants - qui se trouvait sur le parcours. Cagoulés, vêtus de noir, munis de barre de fer ou de masse, ils ont brisé les vitres du rez-de-chaussée du bâtiment.
Escalade dans l'indignation
Ces violences ont été immédiatement et unanimement condamnées par la classe politique, dans une escalade de réactions d'indignation. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a évoqué une "attaque insupportable", tout en précisant que l'hôpital accueillait notamment le petit garçon des deux policiers assassiné lundi soir à Magnanville, dans les Yvelines. Bernard Cazeneuve n'a pas non plus manqué de faire le parallèle. "Tout cela est inacceptable", a ajouté le ministre de l'Intérieur.
Manuel Valls, devant les vitres brisées de l'hôpital qu'il juge "dévasté", a quant à lui fustigé "une attitude ambiguë du service d'ordre de la CGT qui n'assume plus ses responsabilités", laissant entendre que le syndicat avait sa part de culpabilité dans les violences. Même point de vue pour le préfet de police de Paris, Michel Cadot, qui a évoqué "une forme de solidarité" entre manifestants et casseurs, précisant que 29 policiers avaient été blessés - le syndicat Alliance fait état de 200.
"Assimiler honteusement la CGT aux casseurs"
Le premier secrétaire du Parti socialiste a quant à lui demandé à la CGT de prendre ses "responsabilités". Jean-Christophe Cambadélis a souhaité "une pause dans les manifestations, parce qu'elles dégénèrent en violence". Le chef de l'Etat est lui-même monté au créneau. François Hollande a menacé d'interdire les manifestations si les violences continuaient.
Mais pour la CGT, le gouvernement fait l'amalgame entre manifestants pacifiques et casseurs. Le syndicat a qualifié les accusations de Manuel Valls d'inacceptables. Et souligné qu'il incombait "aux pouvoirs publics d'assurer la sécurité et le maintien de l'ordre".
Le gouvernement tente-t-il de discréditer les manifestations contre la loi Travail? "Oui, malheureusement, a estimé Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste, sur BFMTV jeudi matin. "On est face à une énorme manipulation depuis deux jours". A ses yeux, le gouvernement a fait en sorte d'occulter la réalité de la manifestation "pour qu'on ne parle plus de la loi Travail et pour assimiler honteusement la CGT aux casseurs".
Discréditer le mouvement social
Pierre Laurent est revenu sur les incidents survenus à l'hôpital Necker. "Sur une vidéo, on voit un casseur avec un marteau s'acharner sur des vitrines. Les CRS sont à quelques centaines de mètres et il ne se passe rien. Comment c'est possible?" Le leader du PC va même plus loin et accuse le gouvernement d'avoir laissé faire.
"Derrière toute cette opération, il y a la volonté de discréditer un mouvement social parce que le gouvernement est dans l'impasse, il s'accroche à une loi dont le pays ne veut pas", a ajouté Pierre Laurent.
Le soutien au mouvement s'effrite
C'est bien là que se joue l'enjeu du duel. Depuis le début de la mobilisation, la contestation de la loi Travail a toujours été approuvée par une large majorité de la population. Début mai, 74% des Français se déclaraient opposés au texte, 48% se disant même en faveur de son retrait, selon un sondage Elabe pour BFMTV.
"L'opinion reste très majoritairement opposée au projet de loi Travail", analyse pour BFMTV.com Bernard Sananes, président du cabinet d'études Elabe. "Une majorité de la population souhaite toujours que le texte soit retiré ou modifié. Mais aujourd'hui, avec les violences et la longueur du conflit, une partie de l'opinion souhaite sortir de cette crise. La phrase de François Hollande, 'il faut savoir arrêter une grève', a sans doute trouvé un certain écho."
Mais depuis la semaine dernière, le soutien au mouvement semble s'effriter. Un sondage Ifop annonce que 59% des Français considèrent que la mobilisation est justifiée, contre 65% fin mai. De même, une majorité de Français s'oppose désormais à la mobilisation, selon une étude BVA.
"Les actes violents, s'ils se reproduisaient et s'intensifiaient, pourraient faire basculer l'opinion publique", indique à BFMTV.com Olivier Rouquan, enseignant-chercheur en sciences politiques. "Sans compter la prise de conscience d'autres enjeux, comme l'Euro, ou la lutte contre le terrorisme."
L'exécutif s'aliène une partie de la gauche
Cependant, assure le spécialiste, si l'opinion peut souhaiter la fin d'un mouvement social, elle n'approuvera pas pour autant le gouvernement. Car si le mouvement semble se dégonfler - retour à la normale dans les stations-service et perturbations limitées dans les transports - il pourrait néanmoins laisser des traces en 2017.
"Une partie de l'opinion, composée d'anciens électeurs de François Hollande, sera de plus en plus en colère et va devenir imperméable au discours du chef de l'Etat. S'aliénant ainsi ses futurs électeurs pour 2017", indique Jérôme Sainte-Marie, président de la société d'études et de conseil PollingVox, à BFMTV.com.
La primaire de la gauche
Selon l'analyste, l'exécutif va transformer une déception en colère, "rendant totalement impossible un discours sur le vote utile en 2017". Pas étonnant ainsi de voir la poussée de Jean-Luc Mélenchon. Selon une enquête publiée mercredi dans la presse régionale, le fondateur du Parti de gauche passerait devant François Hollande au premier tour de la prochaine élection présidentielle, dans l'hypothèse d'une candidature de Nicolas Sarkozy.
"L'opposition à la loi Travail structure un espace politique à gauche", ajoute Bernard Sananes. "Cette contestation renforce certainement l'idée qu'il faut une candidature alternative de François Hollande à gauche."
Céline Hussonnois-Alaya
Journaliste
Votre opinion