"Ça devient abrutissant": le deuxième confinement, bien plus déprimant que le premier?

Devant un café fermé pour cause de confinement, portant le nom de Corona, à Paris le 4 novembre 2020 (photo d'illustration) - JOEL SAGET © 2019 AFP
Au mois de mars, la France et ses habitants vivaient leur premier confinement. S'il a parfois été mal vécu, entre la difficile conciliation entre le télétravail et la garde des enfants, le tout dans des conditions de vie peu adaptées à cette situation inédite, il laissait espérer un été déconfiné.
Avec ce deuxième confinement et un contexte qui se répète, les journées qui raccourcissent, les craintes qui planent sur les fêtes de fin d'année et les difficultés - notamment financières - qui se sont accumulées, les perspectives ont changé. À tel point que les autorités s'inquiètent: le ministre de la Santé, Olivier Véran, a mis en garde contre "une troisième vague" qui serait celle de "la santé mentale".
Pour les personnes confinées, les bonnes résolutions et les réflexes pris au printemps ont en tout cas du mal à survivre à l'hiver. Un exemple: la saison de la raclette - réconfortante mais calorique - aurait commencé plus tôt cette année, les ventes d'appareil ont en effet explosé ces derniers jours, selon plusieurs médias.
"Ambiance gros pull d'hiver"
Manon*, 28 ans, confirme ce changement de régime: elle assure avoir pris trois kilos depuis le début de ce second confinement. "J'ai grossi, je ne rentre plus dans mes fringues", se lamente-t-elle auprès de BFMTV.com. "Comme je passe mes journées en jogging, je ne m'en rendais pas compte." La jeune femme, au service marketing d'une start-up, nous avait raconté son premier confinement passé à Marseille, chez sa mère. Elle a cette fois décidé de rester chez elle, à Paris.
"Au printemps, je faisais pas mal de sport. Mais là, je n'ai dû en faire que quatre fois. Il fait nuit, il fait froid, je n'ai aucune envie de me mettre en tenue et de sortir courir après le boulot. La dernière fois, il y avait la perspective de l'été, de mettre des petites robes. Là, c'est ambiance gros pull d'hiver, je n'ai plus la motivation."
Après presque dix mois de télétravail - son entreprise avait mis en place le travail à distance avant le confinement et a définitivement rendu ses locaux - Manon a décidé d'aller travailler tous les jours dans les bureaux de son père, architecte.
"Je n'en pouvais plus que tout soit mélangé: la vie professionnelle, la vie sociale et les tâches ménagères. Que tout se superpose tout le temps et en même temps me donnait l'impression que rien ne s'arrêtait jamais et ça jouait sur le moral. J'ai besoin de cloisonner, de segmenter. Le fait de m'habiller, de me maquiller et d'aller sur un lieu de travail, ça change tout."
Plus de promenades de fin de journée...
Pour Mélanie*, une entrepreneuse de 34 ans qui réside à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, les bonnes résolutions n'ont pas duré non plus. La jeune femme avait raconté à BFMTV.com avoir réussi à mettre en place une nouvelle routine pendant le premier confinement passé chez ses parents, en banlieue parisienne. Elle n'attaquait jamais ses journées de télétravail sans être douchée et habillée, "comme si j'allais au boulot".
Elle et son conjoint s'étaient par ailleurs réservé un créneau horaire quotidien pour faire du sport - "souvent à la pause du midi" - et suivaient des entraînements vidéos. Ils marchaient également tous les soirs une heure, dans la limite du kilomètre autorisé, avant le dîner. La jeune femme tentait alors de prendre les choses avec entrain.
Mais aujourd'hui, si Mélanie et son compagnon effectuent toujours une série d'exercices physiques matinaux d'une dizaine de minutes, elle ne va plus courir que deux ou trois fois par semaine, notamment parce qu'elle est très prise par ses activités professionnelles. Les balades de fin de journée ont disparu.
"Il fait nuit de plus en plus tôt et le parc en bas de chez nous est passé en horaires d'hiver", explique-t-elle à nouveau pour BFMTV.com. "Je n'ai aucune envie d'aller courir la nuit dans des rues mal éclairées."

...mais des téléfilms de Noël
Le confinement est de plus en plus lourd pour Mélanie, "surtout qu'on avait déjà deux semaines d'avance" - elle et son conjoint ont été testés positifs à la Covid quinze jours avant l'annonce d'Emmanuel Macron et se sont donc reclus chez eux. Elle a de plus en plus de mal à voir le verre à moitié plein.
"J'ai l'impression de m'endormir sur le boulot, de me réveiller sur le boulot et qu'il n'y a jamais de coupure. Ça devient compliqué de bosser de 8 heures à 20 heures, de préparer le repas, de manger, de regarder vaguement un film et d'aller se coucher. Pour recommencer la même chose le lendemain. Les journées sont répétitives, ça en devient abrutissant."
Quant aux repas, si celui du soir est préservé, le couple bricole souvent un frichti à la va-vite pour le déjeuner. "On ne fait pas de la grande gastronomie, souvent on arrange les restes de la veille. Il arrive aussi qu'on mange devant notre ordinateur, confie encore Mélanie. C'est vrai qu'on s'accorde un peu moins de pause."
Alors, pour garder le moral, Mélanie a trouvé un truc: les téléfilms de Noël. "C'est un peu la happiness therapy", avoue-t-elle. "Je n'ai pas du tout envie de regarder quelque chose d'anxiogène, genre film catastrophe, parce que j'ai l'impression que l'ambiance fin du monde, on y est déjà!" rit-elle avec amertume. Dans ces téléfilms, "il n'y a pas de Covid, pas de souci et ça finit toujours bien".
Grignotage, alcool et tabac
Les cas de Mélanie et Manon ne sont pas isolés. Le chercheur Nicolas Franck, professeur à l'Université Lyon 1 et spécialiste des sciences cognitives, a réalisé une étude sur les conséquences du confinement sur la santé et sur les habitudes de vie. Dans son ouvrage, Covid-19 et détresse psychologique - 2020, l'odysée du confinement, il détaille l'impact considérable des restrictions.
Dans le détail, près de quatre personnes interrogées sur dix (sur un total de 11.407) lui ont déclaré avoir eu des problèmes de "grignotage" durant cette période avec une prédilection pour les produits gras et sucrés. D'autres ont indiqué avoir augmenté leur consommation d'alcool et de tabac. Et à peine un tiers des participants à cette enquête ont assuré avoir réussi à mettre en place une nouvelle routine dans leur quotidien.
Le confinement a fait même basculer certains dans la dépression: le taux de dépression a doublé entre fin septembre et début novembre, a noté ce jeudi Jérôme Salomon - le directeur général de la Santé - lors de la conférence de presse des autorités.
"Plus cette mesure (le confinement, NDLR) est longue, plus ses conséquences sur la santé mentale augmentent et s'aggravent", analyse Nicolas Franck. "L'absence complète d'échéance ou une date de fin ayant été repoussée augmentent le stress."
De la rigueur à la lassitude
Irène* illustre bien cette lassitude. Cette intermittente du spectacle de 35 ans a cette fois décidé de quitter Paris pour se confiner au domicile de sa mère, une maison dans le Val-d'Oise. Lors du premier confinement, elle s'était elle aussi imposé un emploi du temps bien rempli et une hygiène de vie, notamment culturelle.
"Je ne me levais jamais après 8h30, je faisais du sport au moins une fois par jour et je m'étais fixé des objectifs: lecture quotidienne et visionnage d'un classique du cinéma ou d'une pièce de théâtre par jour", se souvient-elle pour BFMTV.com. "Là, clairement, je suis moins productive. Je lis moins, je me cultive moins et je fais beaucoup moins de sport." La rigueur, les exigences et l'envie d'avancer malgré tout ont cédé la place à une certaine forme de lassitude.
"En mars, il y avait quelque chose d'exceptionnel, je me suis dit qu'il ne fallait pas que je me laisse aller, que je ne pouvais pas perdre deux mois à ne rien faire. Là, il y a quelque chose de l'ordre de la fatalité."
Irène suivait quotidiennement les informations, les points de Jérôme Salomon et les évolutions de la pandémie au printemps. Elle a complètement décroché. "Je ne sais même pas si le nombre de cas augmente ou diminue, c'était trop de stress. En fait, j'attends qu'on me dise quand je pourrai ressortir."
"Comme une traversée en solitaire"
Pour Fabienne Martin-Juchat, professeure en sciences de la communication à l'Université Grenoble-Alpes, le confinement éprouve particulièrement les corps. "Le fait d'être toute la journée assis, derrière un écran, enfermé chez soi, dans la contention de son énergie, c'est presque une épreuve sportive", observe l'autrice de L'Aventure du corps pour BFMTV.com. Ce qui exigerait une auto-discipline considérable pour tenir sur la durée.
"C'est comme une traversée en solitaire, avec un système de communication uniquement audiovisuel et la nécessité de tout auto-gérer. S'auto-contrôler pour les temps de travail, les repas, jusqu'au sommeil. À la différence que, pour un sportif, il sait quand se terminera la course."
Selon Fabienne Martin-Juchat,, il n'est pas donné à tout le monde d'être privé de ses repères extérieurs. "Certains ont développé plein de petits rituels qui contribuent à leur équilibre psychique. Tous ceux qui n'ont pas ou ne peuvent pas s'astreindre à cette autodiscipline interne s'écroulent."
De bonnes habitudes à conserver?
Si Manon a renoncé au sport, elle a tout de même tiré des leçons de son premier confinement: plus d'écran avant le coucher. "Je me couchais tard et j'avais du mal à m'endormir. J'étais tout le temps fatiguée, même pendant le couvre-feu alors que pourtant je ne sortais pas." À la place, elle s'est tournée vers la lecture, des récits de voyage notamment.
"Au moins une demi-heure ou une heure avant d'aller au lit, je pose les écrans et je prends un livre. C'est quelque chose qu'on m'a toujours dit de faire mais que je n'avais jamais fait. Eh bien, ça marche."
Depuis, la jeune femme se couche une à deux heures plus tôt et s'endort plus vite. "Je vois bien, avec ma montre connectée, que je fais de meilleures nuits. Moi qui ai toujours eu des problèmes de sommeil, ça fait une vraie différence." De bonnes habitudes qu'elle tentera de conserver après le confinement.
* Le prénom a été modifié, à la demande des intéressés.