Attentat déjoué: le risque d’une attaque chimique "est faible mais il faut s'y préparer"

Le ministre de l'Intérieur a révélé vendredi qu'un nouvel attentat, potentiellement à la ricine, avait été déjoué. La menace d’une attaque terroriste bactériologique ou chimique est-elle réelle sur la France?
"Ils avaient des tutoriels qui indiquaient comment construire les poisons à base de ricine." Vendredi matin sur BFMTV, Gérard Collomb a révélé qu’une attaque chimique avait été déjouée sur le sol français, à la suite de l'interpellation de deux Égyptiens, dont l'un est aujourd'hui mis en examen et écroué, l'autre ayant été remis en liberté. Désormais habituée à vivre avec la menace terroriste "classique", la France va-t-elle devoir se préparer à vivre avec la perspective d’une attaque chimique ou bactériologique?
D’abord, il faut s’attarder quelques secondes sur le produit cité dans cette affaire. "La ricine fait peur à tout le monde. Mais entre regarder des tutoriels sur internet et être capable de perpétrer un attentat à la ricine, il y a un gouffre technique", prévient Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des armes chimiques. La ricine est réputée pour être 6000 fois plus toxique que le cyanure: un dixième de gramme peut provoquer la mort d’une personne de 100 kilos. Elle est issue de la graine du ricin, qui pousse sur un arbrisseau originaire d’Afrique tropicale.
"Distinguer ce qui est accessible et ce qui est militarisable"
Et c’est bien ce qui explique l’intérêt que lui portent certains groupes terroristes, des traces de ricine ayant déjà été retrouvées dans des lettres anonymes envoyées à Barack Obama à la maison Blanche en 2013.
"C’est relativement facile d’avoir accès à de l’extrait de graine de ricin, reprend Olivier Lepick. Mais il faut vraiment faire la distinction entre ce qui est accessible et ce qui est militarisable. Moi je peux me procurer du ricin, mais de là à être capable de perpétrer un attentat efficace sur le terrain, ce n’est pas du tout le même process. Dans le cadre d’une cellule comme ça, de deux personnes, ça me paraît totalement inaccessible. C’est comme si je vous demandais de fabriquer une bombe atomique pour demain matin."
Les autorités envisagent tout de même depuis plusieurs années que ce genre d’attaques puisse avoir lieu sur le territoire. Toutes ces menaces avaient d’ailleurs fait l’objet de remarques dans un rapport du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), en mars 2017, où on pouvait lire qu’un "saut technologique de ces organisations vers des armes plus élaborées est néanmoins tout à fait concevable".
"D’ici 2030, les groupes terroristes pourraient chercher à recruter des experts, d’autant plus que le bagage scientifique et technique des combattants de demain devrait s’accroître", poursuivait le SGDSN, qui assurait que "la fabrication de substances chimiques nocives de qualité moyenne ne requiert pas de moyens particulièrement difficiles à acquérir ou à opérer".
"La différence entre le gaz moutarde et un neurotoxique est la même qu’entre un taxi de la Marne et une Porsche"
D’ailleurs, il y a deux ans, Daesh avait été accusé d’avoir utilisé du gaz moutarde contre des troupes américaines en Irak.
"Mais on ne sait pas très bien si ce sont de vieux stocks irakiens qui ont été utilisés ou si c’est l’organisation qui avait elle-même une capacité de production. Le gaz moutarde, c’est un agent chimique militaire qui date de la 1ere Guerre mondiale. Mais sa toxicité n’a rien à voir avec les neurotoxiques organophosphorés que sont le sarin, le tabun, le VX ou le soban. Ils sont 5 à 6000 fois plus toxiques. La différence entre le gaz moutarde et un neurotoxique, c’est la même qu’entre un taxi de la Marne et une Porsche 911 qui sort du garage", décrit Olivier Lepick.
Le fameux gaz sarin, très difficile à synthétiser, ne semble avoir été utilisé qu’une seule fois par un groupe terroriste. C’était en mars 1995, lorsque la secte Aum avait causé la mort de 12 personnes en répandant la substance dans le métro de Tokyo.
Dans son rapport, la SGDSN évoque également la piste de la propagation de virus: "Un candidat au martyr qui pourrait être infecté d’une ou plusieurs maladies contagieuses et passer les contrôles sanitaires aux frontières sans difficulté en période d’incubation".
Elle montrait également du doigt "l’amélioration des techniques de construction de génomes par biologie de synthèse" qui offre la possibilité de "recréer des micro-organismes déjà existants ou ayant existé dans la nature, notamment des virus dont la virulence et la contagiosité pourraient présenter de réels risques pour la sécurité sanitaire des populations (comme celui du virus de la variole et du virus Ebola)".
Une vraie menace "dans 50 ans"
Pour le moment, des groupes terroristes qui recréent des virus "c’est de la science-fiction", assure Olivier Lepick. Selon lui, c’est techniquement faisable, mais seulement "dans un laboratoire d’équipe universitaire extrêmement pointu. Peut-être que dans 50 ans ce sera une vraie menace, mais aujourd’hui non".
D’ici là, "la probabilité d’une attaque biochimique réussie est extrêmement faible. En revanche, la probabilité que ça se produise parce que les terroristes s’y intéressent est plus élevée. Chaque jour qui passe rend cette menace plus aiguë, donc il faut se préparer. Le problème de ce type de menace, c’est que l’occurrence est faible, mais qu’en revanche, si un groupe parvenait à le faire, ça aurait un retentissement énorme".
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