Pur jus, jus à base de concentré, nectar: quel jus de fruits choisir?

Un client dans un supermarché de Fort-de-France en 2013 (photo d'illustration) - Jean-Michel André-AFP
Vous avalez, chaque matin au petit déjeuner, un verre de jus de fruits et pensez ainsi bien démarrer la journée? Pas si sûr. Pour certains, ce geste quotidien n'aurait aucun bienfait nutritionnel. Pour d'autres, qui estiment que les jus de fruits ne valent pas mieux que les sodas, cela pourrait même s'avérer mauvais pour votre santé.
22 litres par personne et par an
Rares sont les foyers sans jus de fruits: chaque Français en consomme en moyenne 22 litres par an. Et c'est une grande famille: des 100% pur jus, aux jus à base de concentré, en passant par les nectars. Une classification légalement encadrée: chaque dénomination correspond à un produit à la composition bien différente.
Un pur jus est obtenu par simple pressage des fruits sans ajout de sucre ou d'additif. Le jus à base de concentré est pour sa part élaboré, comme son nom l'indique, à partir de jus concentré obtenu par évaporation "afin de faciliter stockage et transport", précise l'Union nationale interprofessionnelle des jus de fruits (Unijus), qui représente les professionnels du secteur. Il est ensuite reconstitué avec de l'eau, "sans aucun sucre ajouté", ajoute Unijus. Quant au nectar, il est obtenu "à partir de jus de fruits et/ou de jus à base de concentré et/ou de purée de fruits auxquels sont ajoutés de l'eau avec ou sans adjonction de sucre et/ou d'édulcorant". La teneur minimale en fruits oscille alors entre 25% et 50% du produit.
Autre nuance: "100% purs fruits pressés", qui indique que le jus se compose uniquement de pur jus de fruits, n'est pas la même chose que "teneur en fruits 100%", qui signale simplement que le jus de fruits à base de concentré se compose uniquement de fruits.
Les purs jus dominent le marché et représentent 60% des ventes, contre 25% pour les jus et 15% pour les nectars, selon les chiffres d'Unijus. Un marché de taille: son chiffre d'affaires a été évalué à 2 milliards d'euros en 2016. Champion des petits déjeuners: le jus d'orange, qui représente près de la moitié des ventes. Suivent ensuite les multifruits et le jus de pomme.
Jus ou fruit, la même chose?
Votre verre du matin compte-t-il comme un fruit? Selon le programme national nutrition santé (PNNS), il est en effet recommandé de manger au moins cinq fruits et légumes par jour. Cru, cuit ou même liquide: les autorités sanitaires considèrent en effet qu'un verre de jus de fruit équivaut à une portion s'il s'agit de "fruits frais pressés ou 100% pur jus", "mixés avec les smoothies" ou "à base de concentré", assure même une autre fiche de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé.
C'est ce que préconise également Laurence Plumey, médecin nutritionniste. "Boire un verre de jus de fruits, c'est la même chose que manger un fruit", affirme-t-elle à BFMTV.com. On profite de toutes les vitamines et minéraux." Chacun a ses qualités nutritionnelles: vitamine C pour l'orange ou le pamplemousse, polyphénols pour la pomme, ou encore antioxydants pour les raisins et les fruits rouges. "Un verre de jus d'orange pur jus couvre les besoins quotidiens en vitamine C", ajoute Laurence Plumey, auteure du Grand Livre de l'alimentation.
"Les jus permettent de profiter du fruit autrement qu'en le mangeant. Il ne s'agit pas d'en boire un litre dans la journée ni à tous les repas. Mais ils sont particulièrement intéressants chez les enfants, qui sont de petits consommateurs de fruits."
Débarrassé de la pulpe et des fibres
Le PNNS nuance tout de même: "Même pur jus ou pressé, un jus ne peut remplacer de façon systématique les fruits entiers". Pour Claudine Manach, chercheuse à l'unité de nutrition humaine de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), attention: "Consommer trois verres, ce n'est pas consommer trois fruits".
Elle estime pour BFMTV.com que les jus bénéficient indûment de l'image santé des fruits, qui est quant à elle avérée. "Il y a une transformation importante quand le fruit passe à l'état de jus. La matrice liquide n'est pas la même que celle du fruit". Anthony Berthou, nutritionniste spécialisé en micronutrition, insiste: un jus de fruits, "ce n'est pas un fruit".
"Boire un verre de jus d'orange n'offre pas les mêmes bienfaits que manger une orange", indique-t-il à BFMTV.com. "La réponse physiologique n'est pas la même. Lorsque vous mangez un fruit, la mastication joue un rôle essentiel dans le processus de digestion. Les fibres procurent une sensation de satiété que n'apportent pas les jus."
C'est également ce que pointe pour BFMTV.com Patrick Tounian, chef du service de nutrition et gastroentérologie pédiatriques à l'hôpital Armand-Trousseau à Paris. "Les fibres, présentes dans la pulpe des fruits, sont quasiment absentes des jus, particulièrement pour ceux qui sont industriels." Mais selon lui, pas de risque de souffrir de carences en fibres si l'ensemble de l'alimentation est équilibré. "Un verre de jus de fruits, ce n'est pas mauvais." Même avis pour Laurence Plumey. "Si vous mangez un fruit et des légumes à chaque repas, et même si vous avez bu un verre de jus, vous ne manquerez pas de fibres."
Pourtant, les jus, à la différence des fruits, subissent un traitement thermique pour pouvoir être conservés, ce qui détruit germes et bactéries mais aussi certaines vitamines. "Les purs jus d'orange frais sont flash-pasteurisés et perdent un maximum de 20% de vitamines C, explique Laurence Plumey. Pour ceux qui sont stérilisés, ils reçoivent un traitement plus lourd. Mais un verre de jus d'orange à base de concentré couvre tout de même la moitié des besoins quotidiens en vitamine C."
Trop de sucres, pas assez de vitamines
Un point de vue que ne partage pas Déborah Ohana, diététicienne et nutritionniste. "Dans un jus de fruits, il ne reste presque plus de vitamines et elles sont dénaturées, d'autant plus la vitamine C qui est particulièrement sensible à la chaleur", conteste-t-elle, jointe par BFMTV.com. "Rien ne peut vraiment remplacer un fruit. Un jus, c'est un peu comme si vous buviez un verre d'eau sucrée."
Le sucre, c'est bien là le cœur du problème. Pour cette spécialiste en micronutrition, "il ne reste que les sucres dans les jus". "Sans compter qu'étant liquide, vous pouvez en ingérer une grande quantité sans vous rendre compte que c'est trop", remarque Déborah Ohana. Dans le cas des nectars, le sucre peut même représenter jusqu'à 20% du produit.
"À l'état liquide, le glucose est pur alors que dans un fruit, il est lié aux fibres, il y a des interactions. Plus le jus est purifié, plus on perd de la complexité chimique du fruit qui est bénéfique", ajoute la chercheuse Claudine Manach.
Adjonction de minéraux, de sucre ou de vitamines: L'ONG foodwatch dénonce les pratiques abusives et courantes dans l'industrie agroalimentaire. L'association épingle également le manque de transparence dans l'étiquetage qui induit le consommateur en erreur. "L'ingrédient principal figure en premier dans la liste des ingrédients", rappelle pour BFMTV.com Mégane Ghorbani, responsable de campagnes. "On voit ainsi de quoi est essentiellement composé un produit. Or, la face avant de l'emballage ne donne pas toujours cette information. On a trouvé un nectar Monoprix présenté comme d'orange, pêche et abricot alors que le principal ingrédient était en réalité du raisin."
Comme un soda?
Pour l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, les jus de fruits sont des boissons sucrées au même titre que les sodas. Et leur consommation doit être inférieure à un verre par jour. "S'il n'y a pas une dominante de légumes, ils sont vite un piège", estime Anthony Berthou. "Ce sont des concentrés de sucres." S'il salue l'intérêt des extracteurs de jus -qui ne détruisent pas les vitamines- il remarque qu'avec les smoothies -qui conservent le fruit en entier- "vous consommez tout de même l'équivalent en sucres de plusieurs fruits que vous n'auriez pas mangé entiers sans pour autant avoir la sensation de satiété ni tous leurs bienfaits". Selon lui, l'apport en glucides des sodas et des jus est, "pour la plupart, équivalent".
"Un smoothie, c'est deux à trois oranges plus d'autres fruits. Il ne vous viendrait pas à l'idée de manger cinq ou six fruits d'un coup. Lorsqu'il y a un excès de sucres, le corps produit de l'insuline. Ce qui a de nombreuses conséquences: prise de poids, diabète."
Un non-sens, juge la médecin nutritionniste Laurence Plumey. "Reprocher à un jus d'être sucré, cela équivaudrait à reprocher aux fruits de contenir du sucre. Or, les sucres des jus sont exactement les mêmes que ceux des fruits. À partir du moment où vous ne consommez qu'un verre, vous ne risquez pas d'excès de consommation de sucres. C'est exactement comme pour les fruits: trois par jour c'est bien, plus c'est trop."
Pour la chercheuse de l'Inra Claudine Manach, il est abusif d'assimiler les jus aux sodas. "Un soda, ce n'est que du sucre, des calories vides. Dans un jus, il reste tout de même des composants intéressants: vitamines, polyphénols, tanins, catéchines, même en petites quantités".
Une boisson plaisir
Quel podium alors? Claudine Manach dresse un classement et recommande de préférer ceux qui sont "les moins transformés, au plus près du fruit". "Comme le pressé maison, avec pulpe, les smoothies, tout en veillant à ce qu'ils ne soient pas trop concentrés en sucre, et les 100% pur jus frais." Pour Anthony Berthou, la consommation de jus de fruits reste à prendre en compte dans la globalité d'un régime alimentaire.
"On a tendance à trop isoler l'effet d'un aliment, on le diabolise ou on le sacralise. Mais il doit s'ancrer dans un ensemble d'habitudes alimentaires. Le jus de fruits n'est pas en soi diabolique mais il devient délétère s'il est consommé quotidiennement en grande quantité. Il n'est pas question de l'interdire mais il faut savoir l'associer: pas un repas sans légumes, sachant que deux ou trois tomates cerises sur des pâtes, ça ne compte pas."
C'est également ce que rappelle Patrick Tounian. "Les jus de fruits sont des aliments plaisirs qui ne doivent pas être consommés avant ni durant les repas." Laurence Plumey pointe quant à elle les nectars, qui doivent rester occasionnels. Et, "idéalement, un quart de verre dilué dans de l'eau."