Le Premier ministre à l'automne de sa puissance

par Patrick Vignal
PARIS (Reuters) - Naguère personnage incontournable de la scène politique française, le Premier ministre ne joue plus un rôle aussi flamboyant en cette saison de chrysanthèmes et de remaniement.
S'il ne sert pas encore à fleurir les sépultures et pourrait même survivre au ménage d'automne que prépare Nicolas Sarkozy, François Fillon sait très bien que la fonction qu'il occupe est menacée dans son existence même.
Chef d'un gouvernement censé déterminer et conduire la politique de la nation, le locataire de Matignon est défini par la Constitution de 1958 comme un acteur majeur de l'exécutif. Mais au fil des décennies, l'animal a perdu de sa superbe, et pas seulement à cause de la personnalité envahissante de l'actuel président de la République.
Si l'image d'un François Fillon phagocyté par un Nicolas Sarkozy soucieux d'occuper le terrain politique intérieur et de piloter lui-même les réformes qu'il propose n'est pas fausse, elle n'explique pas à elle seule l'érosion de la fonction.
"On peut parler de l'hyperprésidence mais il s'agit d'une tendance lourde", confie ainsi un familier de l'Elysée. "Le rôle du Premier ministre a évolué. Il a vocation à devenir un "go-between" (intermédiaire)."
La prééminence accordée par la pratique institutionnelle de la Ve République au président de la République, renforcée par le principe, adopté par référendum en 1962, de l'élection de ce dernier au suffrage universel direct, ne date pas d'hier.
Elle entretient une confusion sur la répartition des pouvoirs au sommet de l'Etat, qui a atteint son paroxysme lors des périodes de cohabitation entre un président et un Premier ministre de couleurs politiques différentes.
LE QUINQUENNAT MODIFIE LA DONNE
Pour un témoin privilégié de l'Elysée, ce n'est pas tant le président actuel qui a planté des banderilles dans le dos du Premier ministre que le passage du septennat au quinquennat.
Ce changement de rythme fait coïncider la durée du mandat présidentiel avec celle des députés et le nouveau chef de l'Etat dispose ainsi d'une majorité à sa main dans les rangs de l'Assemblée nationale pendant cinq ans.
La cohabitation, qui a donné lieu à des joutes si mémorables entre les pensionnaires de l'Elysée et Matignon, devient alors un scénario hautement improbable et le Premier ministre apparaît comme un élément, sinon accessoire, du moins interchangeable.
Ainsi, selon un proche de Nicolas Sarkozy, la personnalité du futur chef du gouvernement après le remaniement importerait moins au président que la nouvelle impulsion qu'il entend donner à son quinquennat finissant.
Si des voix suggèrent que le président doit désormais soigner particulièrement le parti majoritaire et ménager le Parlement, voire en renforcer les prérogatives, afin de préserver un nécessaire équilibre, peu d'avocats se lèvent pour défendre la fonction de Premier ministre.
Qualifié de simple "collaborateur" de l'Elysée par Nicolas Sarkozy lui-même, François Fillon n'a pourtant pas démérité dans une configuration peu favorable à son épanouissement.
Technicien à la compétence reconnue, il a, selon ses propres termes, "mis de l'huile dans les rouages" tout en marquant sa différence en qualifiant sa relation avec Nicolas Sarkozy d'alliance consentie.
PEU D'INFLUENCE, PEU DE RESPONSABILITÉS
L'homme a ainsi gagné le respect de sa majorité - des députés UMP ont crié "Fillon président !" lors de réunions internes - mais aussi récolté des hommages au-delà de sa famille politique, comme celui décerné récemment par Michel Rocard.
"Avec une impulsion constitutionnelle du président extrêmement forte et extrêmement rapide, j'ai beaucoup d'admiration pour la manière dont Fillon fait un boulot que je ne voudrais pas faire", a ainsi déclaré l'ancien Premier ministre de François Mitterrand sur la chaîne Public Sénat.
Moins impopulaire que Nicolas Sarkozy, François Fillon l'est surtout parce que l'opinion estime qu'il a peu d'influence sur la marche des affaires, ce qui atténue sa responsabilité.
"François Fillon est considéré comme un ministre important, au mieux comme le chef des ministres, mais pas comme un Premier ministre", résume Gaël Sliman, directeur général adjoint de BVA. "Il n'a jamais été perçu comme un "Mister Nobody" mais il n'est pas non plus considéré comme comptable des mauvais résultats de la politique du gouvernement."
L'évolution institutionnelle est si nette que François Fillon avait personnellement, dès 2008, posé clairement les termes du débat sans craindre le paradoxe.
"La logique des institutions que je souhaite, si on la pousse jusqu'au bout, c'est le vrai régime présidentiel", avait-il dit. "On a un président de la République qui dirige le gouvernement lui-même mais en face on a une Assemblée beaucoup plus puissante, beaucoup plus forte qui ne peut pas être dissoute par le président de la République."
En attendant une hypothétique VIe République et une énième commission chargée de réfléchir au rééquilibrage des institutions, les Français, que le débat constitutionnel semble ennuyer, sont encore attachés à leur Premier ministre.
Il n'est pas totalement surréaliste, cependant, d'imaginer que, dans un avenir proche, il cède la place, par exemple, à un vice-président. Les remaniements agiteraient alors toujours autant le petit cercle des ministres mais ne concerneraient plus le premier d'entre eux.
Edité par Yves Clarisse