Européennes: Raphaël Glucksmann, le candidat PS "perdu dans un univers qui n'est pas le sien"

Raphaël Glucksmann - Image d'illustration - Joël Saget - AFP
Les soutiens arrivent au compte-gouttes, laborieusement. Dimanche, après des mois d'esquive et de petites vacheries à peine déguisées, François Hollande a appelé à voter pour la liste du Parti socialiste et de Place publique aux élections européennes du 26 mai. L'ancien chef de l'État n'a pu s'empêcher, toutefois, d'ajouter une remarque acerbe:
"Je n'en connais pas d'autre qui comporte des socialistes, même s'il n'y en a pas autant que je voudrais."
Service minimum, donc. Rien de surprenant de la part d'un "ex-" en quête de rebond. De son côté, Lionel Jospin a fait savoir mardi, par le biais d'un communiqué, qu'en tant qu'adhérent du PS il voterait pour la liste présentée par son parti et menée, donc, par l'essayiste.
Du reste, la campagne de Raphaël Glucksmann, bombardé candidat numéro un du PS pour le scrutin du 26 mai, n'aura à aucun moment fait l'unanimité dans les rangs, malgré la démarche sincère de l'intéressé. Encore moins chez les caciques, ceux qu'on appelait "éléphants" quand les socialistes étaient encore domiciliés à Paris, rue de Solférino. Une époque qui paraît lointaine.
Campagne poussive
La trouvaille - s'associer à Place publique, mouvement fondé en novembre dernier par plusieurs personnalités issues de la gauche, dont Raphaël Glucksmann - était d'Olivier Faure, premier secrétaire du parti. "Il lui fallait tout sauf une personnalité forte du PS pour conduire la liste", expliquait récemment un cadre socialiste à BFMTV.com.
À cinq jours du vote, les sondages continuent de le placer autour des 5%, ouvrant la perspective à une disparition pure et simple d'une délégation PS au Parlement européen. Des débuts de campagne poussifs, avec un candidat s'excusant presque de l'être, n'ont pas aidé.
Avant d'être en lice pour ce scrutin ô combien périlleux pour la gauche non-trotskiste, scindée en cinq listes concurrentes, l'écrivain s'est construit un parcours pour le moins atypique. Notamment sur le plan idéologique, comme une sorte de cheminement inverse de celui de son père André Glucksmann, philosophe soixante-huitard maoïste devenu néolibéral.
Conseiller de Saakachvili
Né à Boulogne-Billancourt en 1979, Raphaël Glucksmann grandit dans le Xe arrondissement parisien. Celui qui se considère aujourd'hui comme "bobo" mais "pas germanopratin" (grande nuance) fait sa scolarité au lycée Henri-IV, puis ses études à Sciences Po Paris. Peu de temps après son stage au journal Le Soir d'Algérie, le jeune homme co-réalise, en 2003-2004, un documentaire sur le génocide rwandais produit par Michel Hazanavicius. Il en consacre ensuite un autre à la Révolution orange ukrainienne.
Cet intérêt prononcé pour la dissidence politique à l'est se mue petit à petit en rapprochement avec certaines personnalités. Après avoir rencontré le président géorgien Mikheil Saakachvili, Raphaël Glucksmann en devient le conseiller officieux à partir de 2008.
"Je coordonnais les réformes liées à l'intégration européenne", a-t-il résumé auprès de l'AFP. Il écrit notamment les discours de ce chef d'État aux idées libérales et pro-américaines assumées. Dans le contexte de la deuxième guerre d'Ossétie du Sud, conflit post-soviétique, le conseiller venu de l'ouest participe à l'organisation d'un voyage de Nicolas Sarkozy à Tbilissi. Il rentre en France en 2013.
Si proche de Jadot, si loin...
Cette proximité avec le libéralisme et l'atlantisme, dont il se veut désormais être le virulent contempteur, Raphaël Glucksmann l'a cultivée dans l'Hexagone. En amont des législatives de 2007, il s'est brièvement rapproché du mouvement Alternative libérale. Un passé exhumé par le site CheckNews, et qui lui a valu de nombreuses critiques à gauche.
Après ce pas de côté en terre néo-conservatrice, l'intellectuel s'arrime fermement à la gauche. À la présidentielle de 2017, il se rapproche du candidat socialiste Benoît Hamon, au point de co-écrire le discours de son grand raout de Bercy.
Proche de Yannick Jadot, il regrette son refus de prendre la tête d'une liste d'union de la gauche pour les européennes, alors que l'écologie a "l'opportunité historique" d'"absorber la sociale-démocratie". En décembre 2017, il prend la direction du Nouveau Magazine Littéraire, mais rend son tablier en août 2018. Quelques mois plus tard, Raphaël Glucksmann publie Les enfants du vide, essai qui se vend à plus de 70.000 exemplaires.
"Quand je vais à New York ou à Berlin, je me sens plus chez moi culturellement, que quand je me rends en Picardie. Et c’est bien ça le problème", avoue-t-il à l'époque sur Arte.
Il fonde ensuite le mouvement Place publique, avec l'économiste Thomas Porcher et l'écologiste Claire Nouvian. Le premier a, depuis, quitté le navire.
"Bilan catastrophique"
Ancien chroniqueur pour France Inter, l'essayiste est le compagnon de la journaliste Léa Salamé (le couple a eu un fils en 2017). Lorsque Raphaël Glucksmann déclare vouloir tenter l'aventure européenne aux côtés du PS, en mars 2019, elle se met sciemment en retrait. Deux mois plus tard, l'état des lieux n'est pas rassurant, malgré l'afflux d'anciens ministres de François Hollande venus en urgence soutenir leur candidat. Malgré les efforts de ce dernier, l'union de la gauche n'a jamais pointé le bout de son nez.
"Le bilan de leur campagne est catastrophique, c'est exactement la campagne qu'il ne fallait pas faire", s'alarme-t-on au sein du PS.
"C'est une campagne théorique sur l'Europe, totalement décalée par rapport à la vie des gens. Et Glucksmann, dans tout ça, c'est un peu le Grand Meaulnes: c'est un gentil garçon, perdu dans un univers qui n'est pas le sien."
Reste à savoir si, dans cet univers, l'intellectuel aura été une étoile filante ou un astre potentiellement amené à durer. Réponse le 26 mai.