Quand la justice s'attaque aux "petits délits" terroristes

Chaque premier mardi du mois, la 16e chambre du tribunal de Paris juge des affaires de terrorisme. - AFP
"Encore Telegram, WhatsApp... On aura fait que ça cet après-midi." Mardi 7 février, la présidente de la 16e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris aura passé du temps à égrener réseaux sociaux, photos de jihadistes, vidéos de propagande de Daesh, conversations privées entre aspirants à l'idéologie de l'organisation islamique. "C'est un tribunal spécialement proposé pour des faits qui n'ont rien d'anodins", rappelle-t-elle à Raphaël.
Le jeune homme de 18 ans, jugé pour "consultation de sites jihadistes" - délit censuré par le Conseil constitutionnel depuis (Voir encadré) - inaugure ce jour-là le "circuit court" mis en place au TGI de Paris pour juger des affaires en matière de terrorisme ne nécessitant pas l'intervention d'un juge d'instruction. Les prévenus, qui seront jugés tous les premiers mardis de chaque mois, après seulement quelques semaines ou mois de procédure, sont renvoyés devant un tribunal. Une procédure qui permet ainsi de désengorger la justice.
"Tuer des mécréants"
"Pour être jugé encore faut-il s'approcher", invite la présidente en début d'audience. Visiblement mal à l'aise devant le tribunal, Raphaël n'est pas habitué à la justice. Son casier judiciaire est vierge. Le lycéen, actuellement en terminale, est tombé dans les radars de l'antiterrorisme français après avoir été en contact sur Telegram avec un homme mis en examen, en Belgique, pour "association de malfaiteurs terroriste" pour des velléités de départ vers la Syrie.
Pendant deux heures, le jeune homme, qui avait vêtu une chemise blanche immaculée et un pantalon beige pour l'occasion, a bien du mal à expliquer cet attrait pour les thèses de Daesh et sa volonté de rejoindre la Syrie. "Vous avez des photos d'un homme qui vient de décapiter quelqu'un, ce n'est pas rien", pousse la présidente. Dans son téléphone, parmi les 912 photographies, 171 ont été téléchargées entre juillet et octobre 2016, sur des sites jihadistes. "En faisant plein de recherches sur la religion, je suis tombé sur des textes et je voulais partir", résume-t-il d'une voix à peine audible. A deux reprises, il va proposer à sa petite amie de faire la hijra, synonyme de déménagement en terres musulmanes pour pratiquer un "islam sain".
"Il n'est évidemment pas question de vous reprocher une religion", insiste la présidente qui s'interroge sur cet engagement.
Pourquoi aller en Syrie? "Pour tuer des mécréants." Un langage qui va lui être reproché par le procureur. "Les écoutes prouvent un très fort degré d'extrémisme", développe-t-il parlant de "fascination pour le martyr et le jihad armé". Raphaël assure lui avoir "remis les pieds sur terre". "C'est pas normal du tout de tuer des innocents, j'ai réfléchi, lance-t-il. J'ai parlé avec ma mère, mon père, ma grande soeur, je dois rester, faire des études." La justice l'a condamné à 18 mois de prison dont 8 avec sursis.
"Rapport toxicomanique" à la morbidité
Suit ensuite Mehdi. Lui aussi est poursuivi pour "consultation de sites jihadistes". A peine plus âgé, le jeune homme de 21 ans est beaucoup plus prolixe. Depuis 2015, il est surveillé par les services de renseignement pour des sympathies avec les idées de Daesh. Il raconte le décès de son père, celui de son frère, puis son échec au concours de la police à cause d'un problème de santé. Renfermé sur lui-même, il va se convertir à l'âge de 18 ans pour trouver du "réconfort".
"J'approchais des musulmans au hasard sur Facebook, explique Mehdi au tribunal. Dans ces ajouts, il y a eu des personnes radicalisées."
Lorsqu'il a vu une vidéo de décapitation pour la première fois, il a vomi. La suite de ses explications va faire sourire l'ensemble de la salle. "Je voulais faire respecter la loi de la charia de manière un peu moins stricte", développe Mehdi qui voulait rejoindre la Syrie et Daesh pour travailler dans "un tribunal islamique". Etonnement général. Mais ce départ a été freiné par sa crainte que son idée soit mal prise. "Je vous le confirme, ironise la présidente. C'est presque sympathique votre réponse, c'est gentil."
Le profil de Mehdi interroge. Lors d'une perquisition administrative menée en août 2016, un texte d'allégeance à Daesh, de la documentation sur les armes, des vidéos de combats, de meurtres, celles d'Omar Diabi notamment ont été découverts. Entre naïveté et fascination morbide, le procureur va parler de "rapport toxicomanique" au visionnage de ces images. Son avocate va le qualifier d'"usurpateur", de "menteur professionnel". "Il essaie juste de se prouver à lui-même qu'il est un homme, lance Me Petit. Sorti de sa chambre, il est rien." Comme Raphaël, sa condamnation à 12 mois de prison dont 6 avec sursis a été rendue aménageable.
"Garder le lien"
L'arrivée de M. et A. H. va faire entrer cette audience dans un autre registre. Les deux frères ont été condamnés dans l'affaire dite de la filière strasbourgeoise, ces dix hommes partis en 2013 en Syrie. Parmi eux se trouvait F. M. A., l'un des terroristes du 13-Novembre. M. et A. H. comparaissent pour détention de téléphone portable en prison. Le premier est incarcéré à Nanterre, le second à Villepinte.
"C'était principalement pour appeler mes proches", lance sèchement M.. Sur ces téléphones, des vidéos jihadistes ont été visionnées. "Ça ne veut pas dire qu'on adhère aux thèses", rétorque A. H. . M. H. lui correspond avec des personnes en Syrie pour faire un point sur la situation, le nombre d'allégeances ou demander des nouvelles de terroristes. Un mois avant les attaques de Paris, M. H. s'intéresse au sort d'Abu Foued, alias F. M. A., sensé faire une "dogma", une opération kamikaze.
"Ce tâtonnement vise à faire en miniature le procès de Strasbourg", s'agace l'avocat de M. H. qui, comme son frère, a fait appel de sa condamnation de juillet dernier.
Me David Apelbaum déplore qu'"une fois sur trois" il n'y a pas de jugement en cas de détention de téléphones en prison. "Vous n'êtes là pour juger les personnes, les personnalités et encore moins un type de personnalité, vous êtes là pour juger les infractions, tranche-t-il devant le tribunal. On rajoute un surcroît d'humiliation à mon client." Les frères H. ont été condamnés à 15 mois de prison ferme. Au total, en sept heures d'audience, la justice aura traité trois affaires et reporté une quatrième en attente d'une expertise psychiatrique du prévenu qui devait lui comparaître pour "préparation individuelle à la commission d'un acte terroriste".
le délit de "consultation de sites jihadistes" censuré
Cette première audience s'est tenue deux jours avant une décision importante. Vendredi dernier, le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, a censuré le délit de "consultations de sites jihadistes" l'estimant contraire à la Constitution. Selon les Sages, la législation ne prévoyait pas d'apporter la preuve de la manifestation d'adhésion à l'idéologie. Immédiatement, les parlementaires ont rétabli le texte lors de l'examen de la loi sur la légitime défense.
En attendant, l'avocate de Mehdi a indiqué à BFMTV.com qu'elle ferait appel de la condamnation de son client par la 16e chambre du TGI de Paris. Du côté de la présidence du tribunal, cette censure du Conseil constitutionnel n'entrave pas le travail de la justice. "Le besoin de ces circuits courts est réel, explique-t-on. L'intérêt de cette réforme est double. Elle permet de faire juger ces affaires par des magistrats spécialisés et elle favorise un panel de poursuites aussi large que dans le droit commun." Se par ailleurs félicitant de la tenue de cette première audience. Le prochain rendez-vous aura lieu le 7 mars.