Suicide chez les policiers: les cellules psychologiques sous utilisées par une profession exposée à la violence

82 psychologues, répartis sur l'ensemble du territoire, composent le service de soutien psychologique opérationnel pour les policiers. L'an dernier, 8700 agents ont été pris en charge individuellement.
Le chiffre est alarmant. Depuis le début de l'année, 46 policiers et 16 gendarmes se sont donnés la mort. Plus que l'an dernier. Une vague de suicide illustrée ces dernières semaines par la mort d'un policier, retrouvé pendu dans le bois de Vincennes, celui d'un autre fonctionnaire, en Corrèze, qui a utilisé son arme de service pour se donner la mort ou encore celui de ce policier qui a retourné son arme contre lui après avoir abattu trois personnes. Un phénomène pris en considération au ministère de l'Intérieur qui a reçu, vendredi, les syndicats.
82 psychologues, 8.700 entretiens individuels
Pour faire face au malaise policier, un service de soutien psychologique opérationnel (SSPO) existe. Crée en 1996, il devait être une réponse à la vague de suicides qui touchait déjà la profession à cette époque. Ecoute individuelle, groupe de parole, accompagnement... chaque mois, les policiers reçoivent un rappel: un psychologue est à leur disposition en cas de besoin. Que se soit directement lors d'astreinte dans les commissariats ou à un numéro auquel un professionnel est joignable 24h/24 et 7 jours/7.
L'an dernier, seuls 8700 agents, sur 150.000, ont passé la porte du bureau d'un des 82 psychologues qui composent le SSPO pour "une prise en compte de la souffrance" au travail. Par ailleurs, 875 groupes de parole ont été organisés, essentiellement à la suite d'intervention compliquée ou d'un événement traumatique, pour un débriefing psychologique. Bien souvent proposé par les chefs de service, "généralement, tout le monde y participe, même quand un policier n'a rien à dire, il y va et il écoute", assure un responsable policier. Les professionnels du SSPO peuvent également proposer leur aide et leur écoute à chaud dès qu'un événement vient de se produire.
"Il faut que la démarche soit volontaire, que ça vienne du policier, insiste encore ce responsable. Si l'agent est obligé de se rendre en entretien ou participer à un groupe de parole, il ne parlera pas." Idem pour l'obligation de secret imposée aux psychologues. Question de confiance.
Des suicides aux causes multiples
L'image du policier, garant de la sécurité, serait une des raisons pour lesquelles les agents n'ont pas plus recours aux professionnels du SSPO. "C’est une population exposée, très exposée à la violence, à la mort, à la face la plus sombre de la société, rappelait vendredi matin Eric Morvan, directeur général de la police nationale. C’est une profession qui exige énormément de disponibilité. On s’occupe d’abord des problèmes des autres avant de s’occuper de ses propres problèmes."
Au cours du premier semestre 2017, l'Inspection générale de la police nationale a constaté une hausse significative de l'usage des armes à feu par les policiers, particulièrement des tirs d'intimidation ou de sommation. Preuve d'une certaine tension.
Accident, acte terroriste, usage de son arme, suicide d'un collègue... la violence est également présente dans le quotidien des policiers qui auraient du mal à couper une fois leur insigne déposée au vestiaire. A cela s'ajoute un certain ras-le-bol en raison des conditions et des horaires de travail. Cette grogne s'est notamment exprimée avec une série de manifestations l'an dernier pour signaler leur fatigue et leur manque de considération ou encore avec ce concours de photos pour dénoncer la vétusté des locaux.
"Il n'est pas toujours facile de couper après le travail, confirme, sur RTL, Isabelle Venot, psychologue et chef-adjointe au SSPO. (...) La question de la souffrance est complexe car il faut poser des limites pour ne pas se laisser envahir par le travail."
Pas de lien avec le port d'arme
A la direction de la police nationale, on assure que la prévention des suicides chez les fonctionnaires est une préoccupation. Depuis 2015, 19 psychologues ont été recrutés au SSPO. Plus de psychologues, donc plus d'entretiens individuels ou de groupes de parole organisés. Dans les écoles, que ce soit les gardiens de la paix, les officiers ou les commissaires, tous les aspirants policier sont sensibilisés à l'aide psychologique qu'ils peuvent recevoir. "Dans la police nationale, on se suicide moins dans certains services", reconnaît Eric Morvan, expliquant ce phénomène par la "cohésion" plus ou moins forte selon les services.
Cette remarque fait écho au drame de ces policiers qui se donnent la mort alors qu'ils sont en arrêt maladie. Une problématique qui sera prise en compte, assure le directeur général de la police. Prenant en compte également le facteur "facilitant" du fait de porter leur arme hors service, la direction de la police nationale récuse tout lien entre l'augmentation du nombre de suicide parmi les rangs des policiers et la mise en place de cette mesure en 2016. Plus de la moitié des agents qui se sont donné la mort, l'ont fait avec leur arme de service.
Votre opinion