Pas encore créé, le parquet national antiterroriste vivement critiqué par les magistrats

La ministre de la Justice a annoncé lundi la création d'un parquet national antiterroriste qui doit voir le jour en 2018, indépendant de toutes autres juridictions. L'idée avait été avancée par Nicolas Sarkozy en 2006 mais n'avait pas été reprise face à la bronca des magistrats.
Pas encore officiellement créé que le parquet national antiterroriste suscite déjà une levée de boucliers chez les magistrats. Afin de lutter contre "une menace sans commune mesure", la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a annoncé la création, en 2018, de cette juridiction spécialisée dans les affaires liées au terrorisme. La garde des Sceaux dit vouloir apporter une "véritable force de frappe judiciaire", face à une "menace sans commune mesure", et qui a fait 241 morts en France depuis 2015. Une idée qui s'inscrit dans la suite logique de la création d'une "task force" par Emmanuel Macron en juin dernier afin de mieux coordonner les services de renseignement.
Il y a 31 ans, la France se dotait d'un arsenal juridique pour lutter contre le terrorisme après une vague d'attentats revendiqués par un groupe proche du Hezbollah, la section antiterroriste. Disposant d'une compétence nationale en matière d'affaires relatives au terrorisme, la section antiterroriste se compose de quatre magistrats côté parquet auxquels "incombent l'engagement de l'action publique, le suivi des instructions et les poursuites en matière de terrorisme", rappelle le Sénat. Côté instruction, quatre autres magistrats sont spécialisés. Le nouveau parquet national antiterroriste, le PNAT, prendrait ainsi sa succession, sans que sa composition ou sa forme ne soit dévoilée. La ministre a d'ailleurs demandé au directeur des affaires criminelles et des grâces et au directeur des services judiciaires de lui faire des propositions.
Le volte-face de François Molins
L'idée d'un parquet national antiterroriste avait émergé en 2016, sur le modèle du parquet national financier (PNF) créé à la suite de l'affaire Cahuzac. A l'époque, c'est Nicolas Sarkozy, alors candidat à la primaire de la droite et du centre, qui la formule dans son livre-programme Tout pour la France. Le projet est alors vivement critiqué par l'un des principaux intéressés, le procureur de la République de Paris, figure de la lutte contre le terrorisme. François Molins estime à l'époque que "le dispositif actuel est un gage d'efficacité et de cohérence", s'attaquant à "l'ignorance ou la mauvaise foi" de ceux qui émettent l'idée d'une nouvelle juridiction.
Reste qu'après l'annonce lundi de la garde des Sceaux, le procureur de Paris semble avoir changé d'avis. "On peut comprendre et estimer légitime la décision de la ministre de vouloir refonder le cadre et de vouloir le faire évoluer, affirme à BFMTV François Molins. L’idée, elle procède simplement d’une volonté d’être proactif et anticiper l’évolution des choses pour être prêt. La menace a évolué, la situation est différente. Et comme la situation est différente, les solutions proposées doivent être aussi différentes."
Un revirement qui suscite la colère des magistrats. Le Syndicat de la Magistrature (SM) y voit pour le procureur de la République de Paris une manière de se recaser en 2018 lorsqu'il devra quitter le parquet de Paris. "Est-ce pure coïncidence si François Molins, atteint par la limite des sept ans d’exercice, doit trouver un poste à sa mesure?", ironise le syndicat, dans un communiqué, qui note que si le parquet national antiterroriste n'était pas rattaché à la juridiction parisienne l'actuel procureur ferait office de favori pour récupérer la tête du PNAF. "Il ne s’agit pas de créer une fonction pour un homme", assure au Monde l’entourage de la garde des sceaux.
Indépendance et collaboration remises en cause
Pour le Syndicat de la Magistrature, la création de ce nouvel échelon judiciaire est également une stratégie politique remettant en cause l'indépendance de la justice. "L’annonce offre une opportunité quasi inédite au pouvoir de créer un échelon judiciaire de prestige supplémentaire pour y nommer qui bon lui semble", dénonce l'organisation. Cette question de l'indépendance de la justice est vivement débattue actuellement alors que le Conseil constitutionnel a rejeté une question prioritaire de constitutionnalité déposée par l'Union syndicales des magistrats (USM) visant à revoir le système de nomination des procureurs par le ministère de la Justice.
L'USM est elle aussi très critique envers la création d'un parquet national antiterroriste estimant que "les compétences et l'engagement (des magistrats de la section antiterroriste du parquet de Paris, NDLR) ne puissent être mis en doute". Actuellement, la section dite C1 suit 457 dossiers visant 1.453 personnes. En cas d'urgence, le parquet de Paris peut mobiliser des ressources supplémentaires. Pis, ce nouvel échelon indépendant du parquet de Paris limiterait ou serait un frein à la collaboration avec d'autres juridictions alors que les affaires de terrorisme peuvent trouver des ramifications dans des affaires de délinquance de droit commun ou de crime organisé.
"Se priver d'une telle souplesse de réactivité par la création d'un parquet distinct, cloisonné, est une aberration qui, de surcroît, ne facilitera pas les interconnexions avec le suivi d'autres affaires, notamment en matière de criminalité organisée", prévient le syndicat, dans un communiqué.
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