Le procès "historique" de l'ex-ambassadeur du Vatican en France pour agressions sexuelles

Luigi Ventura, ancien ambassadeur du Vatican en France. - AFP
C'est un procès "historique" à plusieurs égards. Ce mardi à 13h30, Luigi Ventura, ancien ambassadeur du Vatican en France, est jugé par le tribunal correctionnel de Paris pour agressions sexuelles après quatre plaintes déposées par quatre hommes au début de l'année 2019. Des plaignants qui peinent encore à croire, à quelques jours de l'échéance, que ce procès va réellement se tenir, ne serait-ce qu'en raison du contexte sanitaire.
Les premières révélations sur Luigi Ventura ont été faites au début de l'année 2019. Mathieu de la Souchère, alors responsable des événements internationaux à la mairie de Paris, signale des faits à sa hiérarchie puis porte plainte le 24 février contre le nonce apostolique. Ces faits, ce sont des attouchements lors d'une cérémonie à la mairie de Paris, en l'occurence les vœux de la maire aux représentants des autorités civiles et religieuses, qui s'est déroulée quelques jours plus tôt.
Sanctionner "l'impunité"
Ce jour-là, Mathieu de la Souchère est chargé entre autre d'accueillir le représentant du Vatican. A trois reprises entre la voiture de l'ambassadeur et le bureau de la maire de Paris, et ce devant témoin, Luigi Ventura va poser ses mains sur les fesses du jeune homme de 26 ans. "Ce sont des mains qui sont posées avec insistance de manière répétée et très forte sur les parties intimes", confiait le jeune salarié de la mairie en février 2019 à BFMTV.
"Il agissait en toute impunité, de manière non cachée, de manière très sûre de lui, avec aucune retenue, aucune gêne, et même avec un grand sourire, détaillait encore Mathieu de la Souchère. Il le faisait les yeux dans les yeux." "Aujourd'hui, mon client souhaite que le tribunal lui rende justice, mais surtout il souhaite dénoncer ces comportements d'abus dans des situations où les gens ne peuvent réagir car ils sont bloqués par le milieu professionnel", explique son avocate Me Elise Arfi.
Ces faits mais surtout cette impunité ne sont pas sans rappeler ce qu'a vécu Benjamin Guy, alors en charge des réseaux sociaux à la mairie de Paris, lors de la même cérémonie un an plus tôt, en janvier 2018. A l'époque, il en avait parlé avec des amis mais n'avait pas souhaité agir pénalement.
L'action de Mathieu de la Souchère, appuyée par le témoignage d'un haut-fonctionnaire du Quai d'Orsay qui décrit la même scène produite en décembre 2018 lors d'une réunion préparatoire au sommet du G7 puis quelques semaines plus tard, ont finalement poussé ce père de famille de 40 ans à déposer plainte.
Procès historique
Si le haut-fonctionnaire du Quai d'Orsay n'a pas souhaité engager de poursuites contre Luigi Ventura, deux autres procédures ont été lancées après celles des deux agents de la mairie de Paris. Mathieu B. raconte lui-aussi des faits similaires lors d'une réception privée à l'hôtel parisien Le Meurice en décembre 2018. Il avait porté plainte après avoir entendu le témoignage des deux employés de la mairie de Paris dans les médias.
Le quatrième plaignant est un jeune séminariste du diocèse de Créteil, qui depuis sa plainte, a dû abandonner son cursus pour devenir prêtre. L'agression qu'il dénonce s'est produite là-encore en décembre 2018, en marge d'une cérémonie religieuse.
"Tous décrivent le même modus operandi, lors de la même cérémonie parfois, devant des témoins dans certains cas, insiste Me Jade Dousselin, l'avocat de Benjamin Guy. Le fait que ce procès se tienne est assez exemplaire, c'est très symbolique."
Symbolique voire historique. Pour que ce procès ait lieu, il fallait obtenir du Vatican la levée de l'immunité diplomatique de son ambassadeur. Les plaignants avaient fait valoir leur cause auprès du président de la République Emmanuel Macron puis directement à Rome auprès de représentants du Vatican. Ces derniers ont entendu la requête des plaignants puisqu'en juillet 2019 l'immunité diplomatique du nonce apostolique a été levée, une première dans l'histoire du Vatican, ouvrant ainsi la voie à un procès en France.
Déficience mentale?
Luigi Ventura avait été confronté à ses plaignants au printemps 2019. Des confrontations courtes au cours desquelles chacun livrait sa version, l'un décrivant une agression sexuelle, l'autre niant les faits, évoquant tour à tour un complot contre lui mais aussi des gestes cordiaux, des tapes dans le bas du dos, dûes à son caractère latin qui fait de lui un homme tactile. L'ancien représentant du Vatican, qui a démissionné en décembre dernier, sera présent ce mardi devant le tribunal correctionnel pour plaider sa cause, indique son avocate Me Solange Domic.
Une expertise psychologique et psychiatrique, obligatoire dans les enquêtes sur des faits de violences sexuelles, va être au cœur des débats. Elle décrit notamment la "déficience" dont souffrirait Luigi Ventura à la suite d'une opération pour traiter un syndrome frontal. Cette intervention pour soigner des lésions neurologiques a, selon l'expert, causé des séquelles et notamment une forme de désinhibition et une incidence sur certains de ses gestes. Des conclusions jugées "complaisantes" pour les parties civiles. "Cela signifierait que le Vatican a laissé en poste pendant des années un ambassadeur avec une déficience", s'interroge Me Jade Dousselin.
"La défense joue sur tous les tableaux, tranche Me Elise Arfi. Soit il est innocent et il n'y a pas eu de gestes, soit il reconnaît des gestes mal interprétés."