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Police-Justice

"Je me sentais inutile, je voulais mourir en martyr": le procès Madani met la question de la menace endogène face à la justice

Les trois prévenus sont jugés par le tribunal correctionnel de Paris.

Les trois prévenus sont jugés par le tribunal correctionnel de Paris. - AFP

Depuis ce mercredi sont jugés deux hommes et une femme suspectés d'avoir participé à des groupes de discussion sur Telegram en vue d'organiser des départs vers la Syrie et d'imaginer des attaques violentes en France. Un nouvel exemple d'une menace endogène redoutée par les autorités.

"A ce moment-là, je me sentais complètement inutile, je cherchais quelque chose à faire", lance Cüneyt K. au premier jour de son procès.

"Quand vous mourez en martyr, vous ne servez à rien, enfin c’est ce que je pense", rétorque la présidente de la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris.

C'est ce type d'échanges tendus, parfois cyniques, qui a dominé les débats ce mercredi après-midi au procès de deux hommes et une femme, suspectés d'avoir participé et animé des discussions sur la messagerie Telegram afin de recruter des candidats au jihad et d'envisager des attaques violentes en France.

Ce premier jour de procès a été consacré aux faits reprochés à Cüneyt K. Le jeune homme de 23 ans, originaire de Châteauroux, a cherché à rejoindre la Syrie. Stoppé en Turquie, il est renvoyé en France. Placé sur écoute, en décembre 2015, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) l'interpelle après avoir obtenu une information faisant état d'un passage à l'acte.

Entre temps, alors même qu'il était "un peu dans l'oeil du cyclone" comme l'a fait remarquer la présidente, Cüneyt K. s'est félicité des attentats contre Charlie Hebdo, s'est vanté de vouloir faire la même chose que les frères Kouachi, a rencontré des Belges pour chercher à les recruter, a partagé des vidéos de Daesh ou s'est filmé en train d'égorger des poulets.

Egorgement de poulets

D'un ton calme, d'une voix ferme, Cüneyt K., chemise à carreaux et barbe de trois jours, a affirmé tout au long de l'audience que sa seule volonté était de partir en Syrie pour aider le peuple, pour combattre Bachar al-Assad.

"Si je ne partais pas là bas, je ne savais pas où aller. J’étais en rupture avec ma mère, avec mon père", a détaillé le jeune homme justifiant s'être tourné vers la religion pour répondre à une frustration, une colère.

Puis sa rencontre avec un ami syrien aurait fini de le convaincre en lui racontant la situation dans son pays. Il n'a cessé de répéter que son seul but était de rejoindre la Syrie pendant toute cette période.

- "Je me sentais inutile, je voulais mourir en martyr", explique-t-il encore.
- "Quand vous mourez en martyr, vous ne servez à rien, enfin c’est ce que je pense", rétorque la présidente Isabelle Prévost-Desprez. 

Pourquoi avoir dit à sa mère que s'il revenait, c'était pour tuer le président de la République?

"C'était de l'exagération, tout le monde pourrait dire ça sous l'effet de la colère", rétorque le prévenu.

Pourquoi avoir partagé la vidéo d'un pilote syrien brûlé vif ou des vidéos de décapitations? "Vous savez, vous les avez, on est toujours dans le partage." Pourquoi espérer la même notoriété que les frères Kouachi, les auteurs des attentats de janvier 2015? "Pas en France", assure-t-il. "C’est sûr que mourir en martyr en Syrie, ça assure une notoriété", raille la présidente.

Pourquoi s'entraîner à égorger des poulets?
- "Je ne m'entraînais pas, la seule nourriture que je mangeais, c'est celle que j'ai tuée."
- "La virilité d’un homme ne se mesure pas au nombre de poulets égorgés, il me semble", s'étonne alors Isabelle Prévost-Desprez.

"Des ailes qui poussent"

Cette affaire a rebondi par la Belgique. dans le cadre d'une instruction, deux hommes ont clairement mis en cause Cüneyt K. assurant qu'il avait cherché à les recruter et leur avait parlé d'un projet d'attentat. "C'est faux ce qu'il a dit, c'est grave", s'est agacé le prévenu. Seule réponse variant des répétés "j'étais dans l'exagération", "on faisait semblant" ou "je n'aurai pas été capable de faire ça": quand on l'interroge sur ses propos dans les groupes de discussion appelant à commettre des attentats ou à ceux tenus à un journaliste de Canal + à l'origine d'un documentaire intitulé Les Soldats d'Allah, qui s'est fait passer pour une recrue auprès de lui.

"Vous savez quand ce groupe est formé, quand j'ai été mis à la tête du groupe, je sais pas pour les autres, mais on a des ailes qui vous poussent dans le dos, sans s'en rendre compte"

Jeudi, le tribunal interrogera Inès Madani, co-prévenue dans ce dossier. La jeune femme, aujourd'hui âgée de 22 ans, est soupçonnée de s'être fait passer pour Abou Souleymane, un jihadiste français revenu de Syrie pour préparer des attentats en France. Ayant également participé à ces groupes de discussion sur Telegram, elle a remis deux lettres d'instruction au journaliste, afin qu'il les transmette à Cüneyt K., détaillant un projet d'attaque terrifiant contre une boîte de nuit. Inès Madani, qui a reconnu avoir été l'entremetteuse pour favoriser des mariages religieux, sera jugée à l'automne prochain pour l'attentat raté des bonbonnes à Notre-Dame-de-Paris.
Justine Chevalier