"C'est plutôt le Jawad Tragedie Club", lance Jawad Bendaoud

Jawad Bendaoud a eu la parole pour une dernière fois. - Benoit Peyrucq - AFP
"Je m'excuse, je n'ai jamais voulu faire le show. je lis que c'est le Jawad Comedy Club. C'est plutôt le Jawad Tragédie Club. J'ai jamais voulu faire rire. C'est la seule chose que j'ai: l'arrogance." Lucide, Jawad Bendaoud s'apprête à conclure, d'une voix moins certaine, le procès dans lequel il comparaît aux côtés de Mohamed Soumah et Youssef Aït Boulahcen depuis le 24 janvier. Pour la dernière fois, la parole est donnée aux trois prévenus, avant que le tribunal se retire pour délibérer. Le jugement sera connu le 14 février.
Pendant toute l'audience de ce mercredi, Jawad Bendaoud est apparu détendu, acquiesçant ou souriant à chaque argument lancé par ses avocats lors de leurs plaidoiries. Et silencieux. "Jawad, il se défend extrêmement mal quand il est seul", plaide Me Nogueras. "Il en dit beaucoup trop. Il va dire 'je suis pas un terroriste, je me tape des traits de coke comme ça' (...) C’est du Jawad tout craché." Sur le fond, l'avocat a alors tenté de démontrer que l'intervention de son client n'a pas retardé l'arrestation des terroristes - repérés depuis le 16 novembre, selon le conseil - ou qu'il ne savait pas qu'il logeait des terroristes.
"Un innocent"
Chaque élément à charge contre son client est remis en cause. Peut-il avoir aidé à confectionner la ceinture explosive des terroristes? "Comment peut-on une seconde valider l’hypothèse (...) qu'Abaaoud va lui dire 'hey Jawad avant de partir tu peux pas me mettre un bout de scotch sur le détonateur?'", ironise Me Nogueras.
Son client pouvait-il ignorer que des terroristes du 13-Novembre étaient en fuite? Alors que les parties civiles plaident que "non", l'avocat répond au contraire par l'affirmative, mettant en avant "un choc des cultures". "Ce procès-là, c’est aussi un peu la rencontre entre deux mondes, entre nous, une immense bourgeoisie, et ces gamins de cité qui ont une vie dans la drogue, la violence, la délinquance", avance l'avocat, estimant que son client était obnubilé par sa petite vie, son trafic.
Il conclut alors son intervention en rappelant tous les termes employés pour désigner Jawad Bendaoud: "l'idiot, l'imbécile, le con, le débile, le stupide, l'ahuri, le sot, le crétin, l'abruti, le bouffon, le retardé, le bête, moi je vous demande d’en rajouter un: un innocent."
A son tour, Me Marie-Pompei Cullin a souhaité excuser l'attitude de son client: "Il passe de l'ombre la plus totale (l'isolement depuis 24 mois, NDLR) à l’exposition la plus concrète dans les médias. On n'a pas nécessairement la bonne réaction, on n'a pas forcément les bons mots." L'avocate de Jawad Bendaoud argue elle aussi que son client ne pouvait pas savoir qu'il logeait Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh car, selon ses conclusions, les autorités ne savaient pas que le coordinateur des attaques de Paris était en France après les attentats. La relaxe demandée? "Ce n'est pas un cadeau judiciaire, c'est simplement l'application du droit", martèle-t-elle.
"Je vais être condamné"
"Marie-Pompei, c'est ma petite Dupond-Moretti", lance Jawad Bendaoud. "Mes avocats sont formidables." Pendant la vingtaine de minutes que la cour lui a accordée, celui qu'on a accusé vouloir faire le show a d'abord dit qu'il ne savait pas quoi dire... Avant de se relancer dans des explications tortueuses, parfois extravagantes. Il remercie son père, son frère, sa compagne, les gendarmes qui l'ont escorté tout au long du procès, certains surveillants, va jusqu'à lancer un message à Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, avant de réitérer sa version: "Tout ce que j'ai à vous dire madame, c'est que je n'étais pas au courant que ces mecs-là étaient des terroristes. Je n'ai rien à voir avec cette histoire".
Le prévenu de 31 ans parle aussi de son quotidien en prison, de ces questions qu'on lui pose sans cesse. "'Tu savais? 'Pourquoi t'as fait ça?' 'T'es con!' A chaque fois que je croise quelqu’un je dois m’expliquer (…) ou je me fais lyncher, je me fais traiter d’imbécile", raconte Jawad Bendaoud avant de plaider sa cause. "S'il vous plaît madame la juge, si vous me condamnez, prenez en compte que je suis à l'isolement. Je ne vois pas le ciel à part quand je sors du camion pour entrer dans le tribunal." Me Nogueras le presse de conclure. La présidente du tribunal s'en amuse.
Ses derniers mots sont teintés de lucidité: "Je sais que je vais être condamné, je parie à 80% que je vais être condamné parce qu’il y a les victimes, il y a l’opinion publique. (...) Et je n’ai pas envie de faire un second procès". Quatre ans ont été requis à son encontre.