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Police-Justice

Baby Loup, un casse-tête politico-judiciaire

Faute de financement, le déménagement et la pérennité de la crèche Baby Loup pourrait être compromis.

Faute de financement, le déménagement et la pérennité de la crèche Baby Loup pourrait être compromis. - -

Une crèche privée où une employée décide de porter le voile. Il n'en a pas fallu davantage pour que la République s'ébranle sur l'un de ses principes fondateurs qu'est la laïcité. Chose rare, le parquet général et la Cour de cassation s'opposent alors que l'affaire est repassée jeudi devant la cour d'appel de Paris.

L'exigence de neutralité religieuse s'applique-t-elle aux salariés du privé? C'est la question de droit sur laquelle la cour de cassation a tranché par la négative. Fait rarissime dans la vie judiciaire française, le parquet général s'oppose à la décision de la haute juridiction alors que l'affaire Baby Loup est rejugée au fond à partir jeudi, devant la cour d'appel de Paris. La décision sera rendue le 27 novembre.

Mais pourquoi le cas particulier d'une crèche privée des Yvelines secoue-t-il à ce point le monde juridico-politique? Retour sur une affaire en forme de casse-tête pour la République.

> Comment a débuté cette affaire?

Les difficultés ont commencé quand en 2008, la directrice d'une crèche privée de Chanteloup-les-Vignes décide de licencier une employée, Fatima Afif, de retour d'un congé maternité suivi d'un congé parental. Celle-ci avait annoncé son intention de garder son foulard au travail. Pour son employeur, cette pratique contredit le règlement intérieur de l'entreprise qui prône la "neutralité philosophique, politique et confessionnelle".

> Pourquoi un si long feuilleton judiciaire?

L'employée licenciée porte l'affaire devant les prud'hommes de Mantes-la-Jolie dans les Yvelines en novembre 2010. Sa cause n'est pas entendue et le licenciement pour "insubordination caractérisée et répétée" et "faute grave" est confirmé. En octobre 2011, la cour d'appel de Versailles déboute à son tour la plaignante. Dans les médias, l'agitation commence. Plusieurs personnalités, dont la philosophe Elisabeth Badinter et Jeannette Bougrab, ancienne présidente de la Halde, s'étaient à l'époque engagées aux côtés de la crèche.

Coup de théâtre, le 19 mars 2013 la Cour de cassation annule le licenciement de Fatima Afif. Selon la haute juridiction, la plaignante a été l'objet d'"une discrimination en raison de ses convictions religieuses".

L'affaire remonte alors jusqu'aux plus hautes instances gouvernementales. Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, "regrette" publiquement la décision de la Cour de cassation et parle d'une "remise en cause de la laïcité". Mais le feuilleton n'est pas fini puisque l'affaire doit repasser en appel, jeudi, à Paris. C'est désormais le raisonnement juridique exposé en cassation, contesté par le procureur général, qui doit être débattu.

> Le principe de neutralité religieuse doit-il s'appliquer à des crèches privées?

Selon l'arrêt "Baby Loup": "L'article 1er de la Constitution n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public." La crèche Baby Loup, qui est privée, participe-t-elle d'un service public ou même d'une délégation de service public? Assurément, non. L'établissement exerce-t-il en revanche une mission d'intérêt général qui impose certaines précautions? C'est tout l'objet du débat actuel.

Mais dans les conclusions qu'il a remises lundi soir, le procureur général François Falletti défend une autre analyse. S'il admet que la liberté religieuse est un principe fondamental, celui-ci peut aussi connaître des restrictions. Selon le magistrat, "le règlement intérieur de la crèche peut poser des restrictions au regard des missions de ses salariés, qui travaillent au contact des enfants et d'un public multiculturel". Autre raison invoquée, la nature du public auquel s'adresse ce service: les enfants. "L'interdiction du port du voile islamique faite à ses salariées par l'association Baby Loup est justifiée par la nature de son activité et du public pris en charge", analyse le procureur général.

> Quel est l'enjeu politique et juridique de cette décision?

Outre Manuel Valls, le président François Hollande avait lui aussi apporté sa contribution au débat, saisissant le 8 avril dernier l'Observatoire de la laïcité. Celui-ci a écarté la nécessité de légiférer une nouvelle fois sur cette question. L'UMP avait formulé une proposition en ce sens, à l'initiative du député Eric Ciotti, immédiatement après l'arrêt Baby Loup. Mais pour le président de l'observatoire, Jean-Louis Bianco, "un débat législatif dans le climat de tension sociétale qui caractérise notre pays aujourd'hui, à la veille d'échéances électorales, nous paraît comporter des risques sérieux de dérapage et d'instrumentalisation".

Dans un de ses avis, l'observatoire préconise dans des cas similaires à celui de Baby Loup, qui sont de plus en plus courants, de confier "une délégation de service public aux établissements d'accueil de la petite enfance". Ce n'était bien sûr par le cas en l'espèce, car en toute logique la question de la neutralité religieuse aurait été tranchée tout de suite. Mais l'observatoire explique que si la distinction juridique entre ce qui relève ou non de la notion de service public est claire, son application l'est beaucoup moins.

> Quel avenir pour Baby Loup?

Si la décision de la cour d'appel de Paris, auprès de laquelle vont s'ouvrir les débats jeudi, est attendue pour sa portée symbolique, sa portée pratique peut être largement relativisée. D'une part, la décision ne sera pas rendue avant plusieurs semaines. D'autre part, la crèche Baby Loup est en grande difficulté.

Son déménagement vers Conflans-Sainte-Honorine, où elle entend migrer pour échapper notamment au "climat délétère" qui règne à son emplacement actuel, semble compromis. En septembre la crèche avait appris qu'elle n'obtiendrait pas les 100.000 euros demandés au Conseil régional d'Ile-de-France. Baby Loup, qui fonctionne essentiellement avec des fonds publics, a besoin de 500.000 euros pour acheter des locaux et effectuer des travaux.


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David Namias