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Police-Justice

852 morts en 1994: le procès des responsabilités civiles du naufrage de l'Estonia s'ouvre à Nanterre

Des maquettes du MS Estonia sont exposées au tribunal de Nanterre, le 12 avril 2019.

Des maquettes du MS Estonia sont exposées au tribunal de Nanterre, le 12 avril 2019. - Jacques Demarthon - AFP

Le navire avait fait naufrage en moins d'une demi-heure, alors qu'il effectuait la liaison Tallinn-Stockholm dans la nuit du 27 au 28 septembre 1994 avec près de 1000 personnes à son bord.

Vingt-cinq ans après le naufrage de l'Estonia en mer Baltique, le tribunal de Nanterre a commencé à examiner vendredi la recevabilité des demandes de réparation déposées par un millier de rescapés et d'ayants droit contre le certificateur du ferry, Bureau Veritas, et son constructeur.

Prévu sur deux jours, le procès se tient à Nanterre car Bureau Veritas a son siège dans les Hauts-de-Seine. Il doit permettre d'examiner la recevabilité des demandes, ainsi que les responsabilités du certificateur et du chantier naval allemand, Jos L. Meyer-Werft, qui a conçu le ferry en 1980.

En moins d'une demi-heure, dans la nuit du 27 au 28 septembre 1994, le ferry qui effectuait la liaison Tallinn-Stockholm sombre. Il avait 989 personnes à son bord: 852, de 17 nationalités différentes, n'ont jamais été retrouvées. Les autorités scandinaves avaient finalement refusé de renflouer la coque du navire, sanctuarisant la zone du naufrage et interdisant toute exploration de l'épave.

"Même ramper devenait difficile"

Vers 1h cette nuit-là, deux officiers et un matelot sont en service sur le pont, un mécanicien et un chauffeur en salle des machines quand une "secousse" ou "une vibration" selon les versions, puis des "coups étranges" métalliques, "plus forts que des vagues", se font ressentir. Très vite, le bateau commence à gîter, les meubles se déplacent dans les cabines.

Les passagers, parfois à demi vêtus, sortent dans les coursives et courent en tout sens, tentant de monter vers les ponts supérieurs. Ils s'accrochent aux rampes comme ils le peuvent. Certains se blessent en tombant. 

"C'était la panique", relate un membre d'équipage auprès des enquêteurs. Au bout d'un moment, du fait de la gîte importante, "même ramper devenait difficile".

Le bateau avait sombré "en moins de cinq minutes"

Plusieurs rescapés ont remarqué que le ferry avait perdu sa porte escamotable de proue, ouvrant une large voie d'eau au niveau du pont-garage. Dans une mer démontée, avec des creux de quatre à six mètres, voire 12 selon des membres de l'équipage réchappés, le bateau finit par se coucher complètement sur le flan tribord. Il a sombré "en moins de cinq minutes", selon un survivant interrogé à l'époque par l'AFP.

Une commission d'enquête internationale avait conclu en 1997 à une déficience du système de verrouillage de la porte escamotable de proue, ayant permis à l'eau de s'engouffrer extrêmement rapidement sur le pont-garage. 

"C'était un navire dont la conception était intrinsèquement dangereuse", a affirmé avant l'audience l'initiateur français de cette procédure, Me Erik Schmill, l'un des avocats des 1 116 demandeurs. "Un bateau dont le nez s'ouvre, quand vous êtes en pleine mer, face à des vagues, c'est forcément un point de faiblesse", a-t-il estimé.

En l'absence d'un renflouement du navire, échoué par 85 m de fond, et d'une expertise judiciaire indépendante - refusée par Bureau Veritas - qui aurait permis de déterminer avec certitude les causes du naufrage, les thèses complotistes avaient fleuri, certains parlant notamment d'une explosion à l'intérieur du navire, du matériel militaire ayant déjà transité dans ses cales.

"On n'a jamais évoqué la question de fond"

Si les rescapés et ayants droit des disparus ont été rapidement indemnisés à hauteur de 130 millions d'euros pour leur préjudice matériel par l'armateur estonien Estline, via un fonds de compensation, ils n'ont pu demander réparation pour leur préjudice moral.

"Il y a eu indemnisation, mais on n'a jamais évoqué la question de fond. En dehors du rapport de la Commission internationale, il n'y a jamais eu de procès" et les défendeurs "ont tout fait pour faire traîner les choses", a déploré Me Schmill.

Les demandeurs réclament un montant global de plus de 40 millions d'euros pour "le traumatisme reconnu de la douleur causée par la conscience d'une mort imminente", selon Maxime Cordier, un autre de leurs avocats. 

Liv Audigane avec AFP