Musée de l'Homme: la délicate question d'exposer des restes humains

L'authentique crâne de Cro-Magnon, exposé au musée de l'Homme. - PATRICK KOVARIK / AFP
"L'un des points culminants du parcours est une chambre un peu sombre dans laquelle on expose les grands fossiles originaux du Musée de l'Homme", s'enthousiasme Alain Froment, responsable des collections d'anthropologie biologique au Musée de l'Homme*. Mais s'il y fait noir, l'endroit n'a rien à voir avec un tombeau. Le coffre-fort de la mémoire de l'humanité rouvre samedi ses portes au public, entièrement repensé et réagencé.
L'anthropologue veille sur une nécropole de 30.000 restes humains issus de quelque 23.000 individus. Justement, ces morts, qu'ils soient de Cro-Magnon, de Neandertal ou Homo sapiens, n'auraient-ils pas davantage leur place au cimetière que dans un musée?
"Nous avons cherché à susciter de l'émotion face à des crânes de vraies personnes qui ont vécu entre 60.000 et 25.000 ans (avant notre ère, ndlr). Ce n'est pas du plastique. On est face à face, à hauteur de regard. Le message, c'est de rencontrer nos ancêtres pour réfléchir sur ce qu'est l'humanité", explique notre guide.
Singulière mise en abyme du visiteur, invité à porter un autre regard sur lui-même et la destinée de l'espèce.
"On n'expose pas de restes d'enfants"
Mais l'émotion n'est pas tout. En six ans et demi, le monde des vivants, à l'extérieur de l'aile Passy du Palais de Chaillot, a changé. Juste après sa fermeture, en 2009, les têtes des Polynésiens maoris détenues par les musées français ont été restituées à la Nouvelle-Zélande, à la faveur d'une loi votée en 2010, seul biais à l'époque pour passer outre l'inaliénabilité du patrimoine national et avant la constitution de la Commission scientifique nationale des collections des musées de France. La bioéthique, elle aussi, a fait du chemin. Résultat, le musée suit des règles strictes.
"La politique du Musée de l'Homme veut qu'on n'expose pas des restes identifiés ou des restes d'enfants. Il y a bien une momie d'enfant égyptienne, mais le corps est dans les bandelettes donc on ne voit pas le cadavre. De même, pour les recherches, les crânes authentifiés et individuellement identifiés sont mis à part", souligne ainsi Alain Froment.
Ça, c'est le cas général. Quantité de crânes connus, souvent ceux de savants, garnissent les réserves, voire les rayonnages du musée. Saint-Simon, militaire, économiste et philosophe du 18e siècle. Et surtout Descartes, une "exception philosophique" dont la postérité, au contraire de sa physique mille fois caduque, donne le vertige. Pour la petite histoire, Alain Froment révèle que le passage au scanner du crâne du philosophe a montré qu'"il avait une tumeur bénigne dans les fosses nasales".
"Le cadavre, une source de renseignements"
D'autres individus authentifiés sont aussi entrés par une espèce de cooptation post-mortem.
"Des anthropologues du 19e siècle avaient fondé la 'société des autopsies mutuelles'. Ils aspiraient après leur mort à être disséqués par leurs collègues et à avoir leur cerveau dans un bocal. Là aussi, il s'agit d'un geste philosophique qui consiste à dire: 'J'ai été anthropologue, j'ai étudié des restes humains et à la fin, mon squelette rejoint la collection'", analyse Alain Froment.
Le responsable évoque aussi une "longue tradition anthropologique qui vient de la médecine" et qui identifie dans "le cadavre une source de renseignements". "La médecine s'est construite sur la méthode anatomo-clinique qui consiste à observer les symptômes du vivant du patient et à aller, une fois qu'il est mort, chercher dans ses organes les causes susceptibles de les expliquer. On a même une maxime en latin qui dit: 'Les morts enseignent aux vivants' (mortui vivos docent)." Faire parler les morts, oui, mais avec le respect qui leur est dû.
"Notre démarche scientifique est pratiquée avec respect, mais considère que les restes humains sont des archives.
Comme le souligne l'anthropologue, la difficulté réside du fait que ces dépouilles ne sont "ni des personnes, ni non plus des objets". Quant à ceux qui, encore récemment, "croient pouvoir parler de races", le chercheur lance ce message que "l'humanité est un tout continu et indivisible" avec l'ADN pour "fil qui relie tous les humains ensemble". Ici tous représentés, pas de hasard, à deux pas du parvis des droits de l'Homme.
*L'entrée au musée de l'Homme est gratuite pendant les 3 jours suivant son ouverture. Adresse: 17 rue du Trocadéro, Paris 16e. Métro Trocadéro sur les lignes 6 et 9.