Ukraine: la vulnérabilité de la centrale nucléaire Zaporijjia en question après les tirs russes

Une image de l'incendie qui s'est déclaré sur une unité de la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia, la plus grande d'Europe, après une frappe russe, le 4 mars 2022. - BFMTV
La centrale nucléaire de Zaporijjia, dans le sud de l'Ukraine, a été touchée dans la nuit de jeudi à vendredi par des tirs russes. Si un incendie s'était déclenché dans un bâtiment consacré aux formations et un laboratoire, il a depuis été éteint et aucun équipement essentiel n'a été touché, selon un communiqué de presse du régulateur nucléaire ukrainien. Aucune fuite radioactive n'a également été détectée. Des propos rassurants, confirmés par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
Plus grande centrale nucléaire d'Europe, elle possède une capacité totale de près de 6000 mégawatts, ce qui est assez pour fournir en électricité environ quatre millions de foyers. Six réacteurs VVER-1000 à eau pressurisée la constituent. De ces six réacteurs, le 1er est débranché, les 2, 3, 5 et 6 sont actuellement en phase de refroidissement, tandis que le 4 est opérationnel.
À quel degré une centrale nucléaire est-elle vulnérable à une attaque? Les réacteurs peuvent-ils être facilement détruits? Quel impact peut avoir un conflit sur son fonctionnement? BFMTV.com fait le point sur ces questions.
· Ne jamais mettre en danger l'"intégrité physique" d'une centrale
Rafael Mariano Grossi, le directeur général de l'AIEA, a rappelé ce vendredi matin lors d'une conférence de presse, plusieurs points "qui ne doivent jamais être compromis pour assurer la sécurité dans n'importe quelle centrale nucléaire".
À savoir, qu'il ne faut jamais mettre en danger l"'intégrité physique" d'un site nucléaire, "qu'il s'agisse d'un réacteur, de combustibles stockés ou de déchets radioactifs", que tous les systèmes de sécurité doivent rester en place ou encore que les employés sont censés pouvoir s'acquitter de leurs activités.
Si l'armée russe occupe le territoire de la centrale nucléaire de Zaporijjia, le personnel opérationnel "contrôle les blocs énergétiques et assure leur exploitation en accord avec les exigences des règlements techniques de sécurité d'exploitation", a indiqué le régulateur ukrainien. Permettant donc, pour l'instant, le bon fonctionnement du site.
· Une enceinte de protection autour des réacteurs
S'il ne faut pas mettre en danger l'"intégrité physique" des réacteurs, en ce qui concerne les six de la centrale nucléaire de Zaporijjia, leur conception est tout de même "moderne", avec "une enceinte de confinement en béton renforcée d'acier", souligne Benjamin Hautecouverture, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, invité ce vendredi de BFMTV.
"Cette enceinte est réputée pour pouvoir résister à un certain nombre de munitions. Pas à toutes, mais potentiellement à certains missiles. La radioactivité doit pouvoir être contenue, même en cas de rupture du cœur", a-t-il poursuivi.
Le chercheur Joseph Henrotin, issu de l'Institut de Stratégie Comparée (ISC) et rédacteur en chef du magazine Défense et Sécurité internationale, a également rappelé sur Twitter que "la protection de ce genre de centrale repose sur plusieurs couches: l'enceinte de confinement, la cage bétonnée où est installé le réacteur, un certain nombre de cages pour les organes essentiels (pressuriseur, pompes primaires, générateurs de vapeur) et le réacteur lui-même".
"Il est possible qu'un bâtiment réacteur soit éventré dans les combats. Mais cela ne signifie pas en soi qu'un réacteur soit détruit, il en faut bien plus", a-t-il résumé
Si les réacteurs VVER-1000 bénéficient normalement d'une certaine protection, ce n'est cependant pas le cas de l'installation de stockage de combustibles nucléaires usés sur le site de Zaporijjia, dont le régulateur nucléaire ukrainien a indiqué l'existence dans son communiqué de presse. "Cela représente 150 conteneurs. Les frapper pourrait générer un accident nucléaire sensible", note Benjamin Hautecouverture. C'est d'ailleurs à ce niveau-là que se sont concentrées les inquiétudes lorsque l'armée russe a annoncé avoir pris contrôle de la centrale accidentée de Tchernobyl.
· Garantir le refroidissement des réacteurs
Mais plus qu'une attaque en elle-même de la centrale nucléaire, ce sont les conséquences de la guerre en Ukraine qui sont sources d'inquiétudes. Sur les six réacteurs, un est arrêté, quatre sont en phase de refroidissement et un en fonctionnement. Qu'ils soient opérationnels ou non, "il faut en permanence garantir le refroidissement des combustibles radioactifs dans les piscines des coeurs des réacteurs nucléaires", explique Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et chef du laboratoire de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Crirad), ce vendredi sur BFMTV.
"Il faut donc avoir accès en permanence à de l'électricité, au système de refroidissement, donc à de l'eau, et à un personnel concentré et capable de garantir les fonctions de sûreté. En situation de guerre, de bombardements et d'occupation, la sûreté nucléaire ne peut pas être garantie de façon satisfaisante", a-t-il souligné.
En cas d'une coupure du réseau électrique national, la centrale peut tout de même compter sur des générateurs diesel de secours. Mais s'ils sont détruits cela constituerait "une menace pour le refroidissement des réacteurs", ajoute Benjamin Hautecouverture.
Dans tous les cas, même si les réacteurs bénéficient d'une certaine protection, ou que le bon fonctionnement du site est, à court terme, possible, "imaginer des bombardements sur une centrale nucléaire est quelque chose qu'on ne voit que dans des livres de science-fiction", s'est inquiété Bruno Chareyron sur notre antenne. "C'est inacceptable", a-t-il conclu.