TOUT COMPRENDRE - Ukraine: la Russie peut-elle être exclue du Conseil de sécurité de l'ONU?
Depuis le début de l'invasion russe en Ukraine il y a près de six semaines, l'indignation internationale ne cesse de grandir. Si des sanctions économiques ont été prises pour tenter de freiner les véléités bélliqueuses de Vladimir Poutine, face à sa détermination d'autres options sont envisagées.
En ce sens, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s'est prononcé mardi, lors d'un discours face au Conseil de sécurité de l'ONU depuis l'Ukraine, en faveur d'une exclusion de la Russie de ce Conseil, au regard de ses "crimes de guerre", faisant notamment référence au massacre de Boutcha. Mais est-ce vraiment possible?
· Qu'est-ce que le Conseil de sécurité?
Créé en janvier 1946, le Conseil de sécurité est l'organe exécutif de l'ONU. Il est en charge de "la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale", d'après la charte des Nations unies, signée le 26 juin 1945 à San Francisco, qui régit le fonctionnement de l'organisation.
Autrement dit, c'est le Conseil de sécurité qui décide de l'existence d'une menace contre la paix ou d'un acte d'agression. Si tel est le cas, il lui est possible d'ordonner un cessez-le-feu, d'envoyer des obervateurs sur place, mais aussi d'imposer des sanctions économiques, diplomatiques, ou encore militaires.
Il est composé de quinze membres. Chacun d'eux dispose d'une voix, mais tous n'ont pas le même statut. En effet cinq pays sont membres permanents: la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis d'Amérique. Les dix autres, parmi lesquels l'Inde, la Norvège et le Brésil, sont élus pour un mandat de deux ans par l'Assemblée générale de l'ONU en fonction de leur représentativité géographique.
· Les indéboulonnables membres permanents
Est-il possible d'exclure un membre? Dans le chapitre II, article 6 de le Charte de l'ONU, il est écrit:
"Si un membre de l'Organisation enfreint de manière persistante les principes énoncés dans la présente Charte, il peut être exclu de l'organisation par l'Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité"
Ce qui semble être le cas de la Russie. Or le pays est aussi et surtout membre permanent de l'organisation. Qu'en est-il alors dans cette situation? L'article 27 de la Charte rappelle que "les décisions du Conseil de sécurité sur toutes autres questions sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents."
Problème, toute décision est rejetée dès lors qu’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité use de son droit de veto, également inscrit à l'article 27. Celui-ci permet de faire obstacle à toute décision du Conseil de sécurité, et ce même contre l’avis majoritaire des autres membres de cet organe.
Jusqu'ici il a été utilisé plus de 265 fois depuis 1945, en majorité par la Russie (et par l'ex-URSS), notamment pendant la guerre froide, ou contre des résolutions sur la Syrie. Pour exclure la Russie du Conseil de sécurité, il faudrait que celle-ci vote donc contre elle-même...
En effet, "toute modification à la présente charte recommandée par la conférence à la majorité des deux tiers prendra effet lorsqu’elle aura été ratifiée (…) par les deux tiers des membres des Nations unies, y compris tous les membres permanents du Conseil de sécurité", comme l'indique l'article 108 de la Charte des Nations Unies.
Invité de Franceinfo ce mercredi matin, le spécialiste des relations internationales Bertrand Badie a expliqué qu'il est "techniquement impossible d'exclure la Russie du Conseil de sécurité. Aussi bien juridiquement que politiquement d'ailleurs. Car le propre des Nations unies c'est d'inclure tout le monde. Sinon l'ONU serait une sorte de club comme le G7 par exemple". Et d'ajouter avec ironie: "Si on veut priver la Russie de son droit de veto, elle utilisera son veto pour conserver son droit de veto."
· La réforme du Conseil de sécurité: un serpent de mer
En l'état actuel des choses il est peu probable que la Russie vote en faveur d'une diminution de ses droits à l'ONU. Il arrive régulièrement que ressurgisse le débat de l'exclusion d'un membre du Conseil de sécurité. En octobre 2016, le Haut Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad al-Hussein, estimait que la "tragédie" qui se déroulait à Alep nécessitait la limitation "sans délai" du droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité.
De son côté la France s'est également montrée favorable à une réforme du Conseil de sécurité.
"Nous avons besoin d’un Conseil de sécurité capable de prendre des décisions appropriées et efficaces, sans être entravé par l’exercice du veto lorsque des atrocités de masse sont commises", disait Jacques Lapouge, alors Secrétaire général de la délégation française à la 72ème Assemblée générale des Nations Unies en 2017.
Quid d'une intervention des casque bleus, la force de maintien de la paix de l'ONU? Au micro de Franceinfo, Bertrand Badie apparaît sceptique: "Si un eventuel accord entre Russie et Ukraine prévoyait des garanties de nature onusiennes, dans ce cas oui. Mais ce n’est pas la voie que la Russie va choisir. La Russie répugne l’idée d’être placée sous la surveillance d’une instance dont elle considère qu’elle est un des piliers"