Qui sont les gagnants et les perdants des négociations autour des postes-clés de l'UE?

Les longues négociations autour des postes-clés de l'Union européenne ont pris fin hier. Les Français et les Allemands en repartent avec des morceaux de choix: les premiers obtiennent la présidence de la Banque centrale pour une de leurs compatriotes, les seconds la tête de la Commission. BFMTV.com passe en revue l'ensemble des gagnants et des perdants aux termes de ces tractations.
De près, ça ressemble à un casting. En prenant un peu de hauteur, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un vaste jeu d'influences, d'une scène géopolitique entre (parfois faux) amis. Mardi dans l'après-midi, les dirigeants européens se sont enfin accordés, après moult réunions, sur les noms des lauréats des fameux postes-clés de leur Union: à l'Allemande Ursula von der Leyen la présidence de la Commission européenne, à la Française Christine Lagarde celle de la Banque centrale, au Belge Charles Michel la tête du Conseil européen, enfin l'Espagnol Josep Borrell aura la haute main sur la diplomatie de l'institution. Alors, qui a remporté cette interminable partie de poker? Qui y a laissé sa chemise?
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Victoires personnelles pour Macron
A l'évidence, Emmanuel Macron a eu gain de cause sur nombre de dossiers et apparaît comme l'un des grands gagnants. Selon Le Monde, c'est lui qui a proposé le nom d'Ursula von der Leyen dès lundi, actant les réticences suscitées chez les conservateurs par le Néerlandais Frans Timmermans, pour le coup l'un des perdants de mardi.
Ursula von der Leyen a de plus le mérite à ses yeux d'appuyer sa volonté d'une force de défense européenne. C'est encore l'Elysée qui voulait placer une compatriote à la tête de la Banque centrale européenne, et tant pis si la directrice du Fond Monétaire International (FMI), Christine Lagarde, n'a jamais dirigé de banque centrale et a été condamnée par la justice française en 2016 pour négligence dans l'arbitrage Tapie. Enfin Charles Michel, ex-Premier ministre belge et donc appelé à diriger les séances du Conseil européen, est un libéral proche du président français, de surcroît.
L'essayiste Coralie Delaume, critique des institutions européennes dont elle est une grande spécialiste et auteur, avec David Cayla, entre autres de Dix questions + une sur l'Union européenne, concède un autre point à Emmanuel Macron auprès de BFMTV.com:
"Il y a aussi pour lui le fait que les socialistes espagnols récupèrent les Affaires étrangères de l'UE, avec Josep Borrell, et ils sont totalement Macron-compatibles!"
Emmanuel Macron a enlevé une dernière victoire personnelle: il a sapé le principe, auquel il ne croyait pas, du spitzenkandidat.
"Emmanuel Macron a réussi déjà à casser le système des spitzenkandidat, les fameuses têtes de listes qui devaient rafler les postes. Ils ont disparu", a analysé sur notre plateau, notre éditorialiste Christophe Barbier.
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L'Allemagne en retrait... mais gagne quand même
La chancelière allemande Angela Merkel avait des raisons, elle, de croire en ces spitzenkandidat. Manfred Weber, le chef de file des conservateurs allemands, jouissait ainsi de toutes ses chances pour remplacer Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission. Mais l'opposition d'une partie des dirigeants, dont celle d'Emmanuel Macron, a eu raison de sa tentative.
Angela Merkel s'en sort cependant bien car Ursula von der Leyen est une fidèle parmi ses fidèles (elle a enchaîné les ministères, de celui de la Famille à celui de la Défense). Ainsi, la cheffe du gouvernement retombe tout de même du bon côté de la barrière. L'Allemagne place en plus l'un de ses ressortissants à la tête de l'exécutif européen pour la première fois depuis 1967 et le retrait de Walter Hallstein. Coralie Delaume nuance cependant:
"C'est une Europe très allemande. Les Allemands ont de nombreux secrétaires généraux comme celui du Parlement européen, mais aussi celui de la Commission, mais qui va sans doute se retirer avec la nomination d'Ursula von der Leyen. Ils ont beaucoup de présidences aussi: celles de la Banque européenne d’investissement, de la Cour des comptes européenne, du Mécanisme européen de stabilité et du Conseil de résolution unique des crises bancaires".
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Défaites individuelles
De nombreuses personnalités ont fait les frais, en revanche, des dernières étapes des discussions. Outre Frans Timmermans et Manfred Weber, qui ne sera même pas président du Parlement européen, prestigieux lot de consolation qu'on lui a un temps fait miroiter, on relève d'autres déçus.
La Danoise Margrethe Verstager a un temps pu imaginer devenir présidente de la Commission européenne. Il n'en sera rien, bien qu'elle obtienne le titre de vice-présidente.
Parmi les perdants, on trouve encore un Français, Michel Barnier, ancien ministre des Affaires étrangères, qui voit son bail de négociateur du Brexit prolongé tandis qu'il espérait bien glaner la présidence du Conseil, lui qui avait de significatifs alliés: les quatre du fameux "groupe de Visegrad", c'est-à-dire la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie.
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Les pays de l'Est les mains vides
C'est d'ailleurs pour eux que l'issue paraît la plus incertaine. Par le blocage de la nomination de Frans Timmermans, à qui ils reprochaient des procédures accusant Varsovie et Budapest de manquements à l'Etat de droit, ils faisaient entendre leurs voix, ils existaient au sein d'institutions qui faisaient rarement une place aux nations plus modestes jusqu'ici. Au passage, on disait même que la présidence du Conseil européen pouvait échoir à un représentant des pays de l'Est, à une Bulgare, Kristalina Georgieva...
"A l'arrivée, je constate qu'ils n'ont rien", lance Coralie Delaume. "Entre la France, l'Allemagne et la Belgique c'est un peu l'Europe des six qui se taille la part du lion".
L'Italie, elle aussi, a bien cru repartir les mains vides de ces palabres. Lors de la dernière mandature, elles disposaient pourtant de trois têtes de pont: Mario Draghi dirigeait la Banque centrale européenne, Federica Mogherini pilotait la diplomatie européenne et Antonio Tajani présidait les débats du Parlement. Elle se sauve avec l'élection du socialiste David Sassoli au perchoir européen.
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